2016 mai 9

Boloni

Bolonis du boulanger
C'est un petit beignet plat fourré aux pommes de terre ou aux légumes verts que l'on trouve habiuellement au coin des rues, frits à l'huile et vendus à la dizaine par les marchands ambulants. Un casse-croûte apprécié. Je me demande si le nom ne témoigne pas d'un héritage du passage de Marco Polo...

Tout à l'heure, mon boulanger favori en proposait d'énormes, cuits au four. Les voilà, je m'en régale avec un accompagnement au yaourt frais parfumé à la coriandre. Bon appétit !

2016 mai 8

Maison blanche

Tempête de poussière à Kaboul
Comme Washington, comme Moscou, Kaboul aussi a sa "maison blanche". C'est le bâtiment de sept étages qui abrite les services du Conseil des ministres, juste en face du ministère de la Défense, à walking distance du palais présidentiel ou encore de l'ambassade de France. Bien qu'y étant conviée ce matin pour rencontrer une haute personnalité, je ne vous en propose aucune photo car elle fait partie des lieux interdits histoire de ne pas donner d'éléments aux terroristes. Voici plutôt donc la tempête de poussière qui a suivi peu après sous mes fenêtres...

De l'exercice, je garde un goût amer. Mon interlocuteur a profusément souscrit à l'argument de ma recherche : pour redonner confiance à la population afghane écrasée par les intérêts des empires mondiaux, un projet de protection sociale initié avec des financements privés internationaux est bienvenu. Pourtant, quand il s'agit de lui demander d'agir pour solliciter des soutiens symboliques de haut niveau - le président et le chef de l'exécutif - conjointement afin de dépasser le blocage politique actuel, il dégaine son argumentaire de bureaucrate entranché dans la logique tribale : "pour être convaincant, votre projet doit avoir une équipe..." Comprendre : "alignez donc quelques fonds qui bénéficieront à nos affidés !"

Je lui explique que je compte mobiliser localement des groupes de travail bénévoles qui feraient émerger des idées nouvelles et dessineraient un projet pilote avant d'espérer convaincre les grands donateurs. Il me faudrait circuler librement, avec un visa de longue durée plutôt que des visas de tourisme à chaque visite. "Même moi, quand je dois aller en Europe, j'attends des semaines avant de recevoir mon visa ! Les règles sont les règles," semble-t-il mettre un malin plaisir à me sussurer. C'est le badal, la loi du talion... Mais il est prêt à me faire "parrainer" au ministère des Affaires étrangères, pour que je reçoive un statut de consultante-chercheuse dépendant de ses services. Auquel cas le projet tomberait dans son escarcelle, bien sûr, avec tous les éventuels bénéfices politiques et financiers !

Le serpent se mord la queue. Les cadres gouvernementaux afghans savent qu'ils sont les jouets d'un jeu qu'ils ne maîtrisent pas. Ils ont appris à y survivre en en tirant les ficelles, en ramassant les miettes de la politique du chaos menée par la Maison blanche américaine. Les tempêtes de poussière sont leur élément naturel.

2016 mai 4

La soupe du coin !

Boutiques
Ca fait bien longtemps que je m'étais promis de la goûter. Alors ce soir, au retour d'une promenade à pied sur la colline pour admirer les couleurs du couchant et les constructions nouvelles du côté de l'aéroport, j'ai sauté sur l'occasion quand Shekeb a suggéré de s'arrêter à la boutique. Dommage, je n'avais pas mon appareil en poche... j'aurais pu vous faire saliver devant un bol de soupe de pied de veau... bien grasse et bien poivrée, exactement le genre que j'évite en régime habituel, mais quel délice !

Nous étions les derniers clients de la journée, et le cuisinier a pris le temps de raconter comment il avait construit sa clientèle dans la boutique d'en face. Quand le propriétaire mourut, il était resté quelques temps au service de la veuve, mais son remariage avait rendu la situation compliquée. Depuis un an il est à son compte. Sa renommée lui assure un revenu confortable grâce aux commandes groupées des bureaux voisins à l'heure du déjeuner, à 150 afghanis (environ deux euros) le bol. Un pied de veau coûte 400 AFS, et il en fait sept portions. Cependant les affaires tendent à baisser, en phase avec la situation économique et sécuritaire du pays.

Shekeb dit que le moral général remonte depuis que le président Ghani a proclamé un changement de politique vis-à-vis des talibans, à la suite de l'attentat dévastateur contre les services de la sécurité nationale il y a deux semaines. L'esprit de vengeance implacable a pris le dessus, la population s'y retrouve. La situation devient plus tendue, presqu'électrique. Mais chacun, dans le quartier, semble mettre un point d'honneur à me faire sentir bienvenue. Aujourd'hui, mon proprio a même commencé les travaux de réparation des tuyauteries qui, depuis cinq ans que j'ai emménagé, fuient au-dessus de chez moi et pourrissent littéralement ma salle de bain. Tout cela fait un peu douche écossaise...!

2016 avr. 29

Fin de semaine

Le meilleur kabab de Kaboul
S'assurer de la compagnie d'un ami de confiance. Déambuler dans le soleil de printemps le long des allées du parc. Constater la fermeture du restaurant qu'on avait ciblé. Se rabattre sur l'étal aux fumets odorants du meilleur grilleur de kababs de Kaboul. Embarquer de quoi nourrir un régiment. Remonter avec un plaisir anticipé vers l'ombre de son salon pour déguster l'aubaine, accompagnée de salades de saison. Plaisir parfait pour un jour de repos kabouli.

Petit ânier deviendra grand En cerise sur le gateau, cette enne-plus-une-ième rencontre avec le petit ânier chineur, qu'on a déjà eu le bonheur de vous présenter ici et ici :) Mon ami Djan en profite pour lui demander s'il va à l'école : oui, en niveau 8 (classe de 4ème).

Notre conversation ensuite porta sur le sort de ces enfants qui traînent les rues pour apporter un revenu de complément à leurs familles, quand ils n'en sont pas les seuls soutiens. Quelle que soit la situation individuelle de l'enfant - même totalement privé de parent au premier degré - les relations traditionnelles de solidarité font qu'il existe toujours une maison pour l'accueillir la nuit. Mais cela n'exclut pas les situations d'exploitation abusive, ou de nécessité économique passant avant l'éducation. Comment alors faire parvenir à l'unité économique une aide qui permette la bonne scolarisation de l'enfant en évitant que cette aide soit détournée à d'autres usages ? C'est toute la problématique de l'étude que j'entreprend.

Accessoirement, après notre bon repas au calme de mon salon en terrasse surviennent quelques questions de fond : y a-t-il une chance que mes travaux actuels apportent une quelconque amélioration à la situation afghane ? Est-ce seulement un fantasme d'occidentale protégée par son statut ? Est-il moral de vivre à Kaboul avec mon revenu de riche (?!) retraitée ? Serait-il plus moral de ne plus venir en Afghanistan ?

2016 avr. 25

Archives nationales

Collections anciennes
Ces contrats issus des collections afghanes, soigneusement calligraphiés par des scribes soucieux de la paix entre parties, sont-ils plus caractéristiques de l'identité culturelle afghane que l'exercice de style exécuté sous nos yeux par une jeune érudite ?
Culture afghane
Les deux sont complémentaires, bien sûr, et ce n'est pas Pascale Bastide, directrice du Musée de la culture afghane, qui me contredirait, elle qui inaugurait aujourd'hui aux Archives nationales une exposition d'oeuvres classiques de toute beauté.

Au titre de la culture contemporaine afghane, on pourrait bien mettre cette collection de petits métiers de rue que je vous montre depuis ma fenêtre, non ? D'ailleurs, aujourd'hui j'y ai ajouté celui-ci, que je voulais vous livrer depuis longtemps sans avoir pu l'alpaguer : le vendeur de glaces dont le crincrin porte des Happy birthday to you! à tous les coins de rue pour allécher le client. ;)
Glacier ambulant

2016 avr. 23

Le vieux de la montagne

Colline du vieux
"Dawa push ! Dawa push !" Tel est l'appel que j'entendais tôt ce matin sous ma fenêtre... Curieuse à mon habitude, d'autant que je comprends plus ou moins le sens de ce cri (poseur de médicament...?), j'observe un petit bonhomme coiffé d'un turban de guingois (comme les vieux hazaras) et portant sur le dos un conteneur en métal : il en sort un tuyau de caoutchouc au bout duquel est fixé un tube métallique qu'il brandit à la main droite, alors que sa main gauche tient un sac en plastique contenant diverses boites de carton. J'en déduis qu'il propose des services de fumigation de produits variés, insecticide, herbicide, engrais ou autres...

A peine a-t-il tourné le coin que résonne déjà dans le vide des rues l'annonce d'un autre, qui m'est, celle-ci, incompréhensible. L'émetteur apparaît dans l'ombre de l'aurore sur un vélo harnaché de sacs en plastique, qu'il stoppe quasiment sous mon nez - ou du moins dans l'axe de mon objectif - dans une flaque de lumière reflétée par le bâtiment voisin. Une fois l'engin soigneusement calé sur sa béquille, l'homme - pas bien vigoureux - franchit l'égout pour aller frapper du plat de la main au portail métallique devant lequel il s'est arrêté : deux coups fermes, puis il revient sagement à côté sa bécane. Il n'attend qu'une ou deux minutes, et la porte s'ouvre pour laisser passer une gamine qui lui tend un petit paquet. Impossible, de là où je suis, de voir de quoi il s'agit. Une simple salutation est échangée, la fillette rentre et le brocanteur satisfait remonte gaillardement son biclou vers de nouvelles aventures.
Récupération en porte-à-porte

Ainsi va le cycle de la récupération et de l'entretien des maisons particulières, dans un quartier traditionnel de Kaboul aux très petites heures du jour, alors que le soleil est à peine levé sur la colline du vieux de la montagne, tapa-e Galidzadan.

2016 avr. 21

C'est l'heure !

Ribambelle sur le chemin de l'école
Caravanes d'écoliers
C'est un bonheur de traverser la ville à l'heure de la rentrée des écoles ! Les grands frères poussent des brassées de petits et les grandes sœurs tirent des caravanes de plus grands, tous dans l'allégresse de la recherche de la connaissance. Plus loin, les anciens célèbrent le respect de cette connaissance dans l'ombre soyeuse des librairies au pied des vieux quartiers de Deh Afghanan, là où les antiques entrepôts ne servent plus que d'abris de fortune.
Librairie du soleil
Antiques entrepôts à Deh Afghanan
Ils sont des millions de jeunes Afghans à être sortis du système scolaire et universitaire depuis dix ans. Jusqu'à récemment, quand leur famille avait eu les moyens de leur offrir une formation diplômante dans un domaine recherché (anglais, business, informatique, sciences), ils se casaient dans les projets de reconstruction ou auprès des représentations internationales. Avec le dégonflage de la bulle de l'aide, la machine s'est enrayée, et leurs perspectives se tournent vers l'étranger.

Souvent, une bourse d'étude dans un pays développé leur semble la seule solution légale à leur marasme. Les dossiers sont épais, les documents nombreux à fournir, et ils doivent être produits en langue anglaise. Pour les diplômés de l'université de Kaboul, ce parcours d'obstacle est devenu un cauchemar car sous prétexte de manque de budget, les versions anglaises de leurs précieux parchemins ne sont plus fournies depuis deux ans. Les jeunes en souffrance n'y voient qu'une réelle explication : le gouvernement veut les empêcher de partir. De quoi faire monter la pression de l'insatisfaction populaire ?

Echoppes de Deh Afghanan

2016 avr. 20

Ça décoiffe !

Printemps sur Tapa-e Bibi-Mahruh
On ne l'a pas oublié, ici aussi c'est le printemps, avec ses pluies diluviennes et ses soleils étincelants, qui confèrent à ma colline favorite un petit air de marin dans la tempête ;) En cinq ans, elle est passée de l'état de calvitie avancée à celui de tignasse ébouriffée, même si un tant soit peu galeuse...

La vie suit son cours... Cheers !

2016 avr. 19

Baroud d'accueil

Huit heures cinquante-cinq, je suis lovée sur mon lit dans l'espoir que ma kaboulite passe... Depuis deux jours, mes contacts ont été mi-figue, mi-raisin : heureux de me voir, globalement pessimistes sur la situation. Les news locales énumèrent les lieux d'affrontements entre forces de sécurité nationales et opposants armés, soit une quinzaine de districts où les combats sont incessants. Les maux de la vie quotidienne s'égrènent comme une litanie : chantiers en souffrance parce que l'entrepreneur s'est réfugié à l'étranger (avec l'avance sur travaux...); jeunes exploités par les anciens à cause de la pénurie d'emplois ; administration publique manifestement en dehors de la réalité vécue par la population ; théorie du complot omniprésente : les Américains financeraient les talibans. En fait, les mêmes qu'en France, n'est-ce pas ? Même s'ils sont exacerbés...

Et puis un grondement fait trembler les vitres de tout l'immeuble. Comme je dors, que le temps est plutôt maussade, je crois d'abord à un coup de tonnerre. Mais je suis réveillée maintenant, je vais à la fenêtre. Instinctivement, je regarde dans la direction du quartier diplomatique. Un énorme nuage noir s'élève en champignon. D'après mes repères, ça pourrait être charrah-e sedarat zambak, le point de contrôle de l'accès à la zone verte.

La circulation en bas de mon immeuble n'a pas changé de rythme. Le ballon d'observation, qui était à terre au moment de l'explosion, s'élève lentement vers le ciel. On entend au loin quelques sirènes de police. Bienvenue à Kaboul !


Photo Pajhwok Afghan News

Neuf heures trente, première alerte sur le site de Tolo News (sic): "A heavy explosion rocked Kabul at about 9am local time on Tuesday. Early reports indicate it was a car bomb but officials have yet to confirm this. The blast reportedly occurred in PD2 in Pul-e-Mahmood Khan area. Reports of gunfire were also heard. Not details as yet on casualties." Rapidement, des détails sont publiés : la cible est un service de protection des VIP dépendant de la présidence et situé près du ministère de la Défense. Des combats sont en cours à l'intérieur.

Dix heures : au moins deux douzaine de personnes auraient été tuées, des forces de sécurité entourent le lieu de l'attaque et les combats continuent. Dix heures trente : les victimes seraient en fait de six morts et une vingtaine de blessés. Dix heures cinquante-trois : le nombre de blessés s'élève à 198... Onze heures trente, le nombre passe à 208. L'attaque serait terminée avec l'élimination des assaillants par les forces spéciales afghanes.

A 14h41, ToloNews publie le dernier bilan : 28 morts et 327 blessés, pour la plupart des civils. Les détails indiquent que la majorité a été blessée par des éclats de verre, parfois jusqu'à un kilomètre de distance de l'explosion, provoquée par un camion-suicide bourré d'explosifs. Maisons et boutiques à proximité ont subi des dégâts importants.

19h10 : A l'instant, nouvelle explosion, moins forte mais plus proche que ce matin. Il fait déjà nuit. Les voitures en bas de chez moi klaxonnent pendant quelques minutes, puis le carrefour, généralement encombré à cette heure-ci, se retrouve désert. Les gardes de Dostum ont pris leurs positions. Tout redevient calme. Ce qu'en dit Pajhwok à vingt heures : Another bomb explosion was heard in Kabul late on Tuesday evening hours after a deadly suicide car bombing left 28 dead and hundreds wounded. Interior Ministry spokesman Sediq Seddiqi told Pajhwok Afghan News the latest blast took place at 7:15pm in Sherpur area of Kabul on a street. He said it was a remotely-controlled landmine blast that caused no casualties. The official said the target of the blast was not immediately known.

Mise à jour du lendemain : le bilan s'établit à 64 morts et 347 blessés. Synthèse après une semaine : les soixante-quatre morts ont été abattus à l'intérieur du bâtiment des services de sécurité, par trois assaillants revêtus d'uniformes de la police de sécurité. Ils portaient une chemise blanche comme signe distinctif. L'un d'entre eux a pu quitter les lieux sans être inquiété.

2016 avr. 16

Au fil des saisons

Herbages sur toiture
Aux fenêtres nord de mon appartement se tient un assemblage hétéroclite des différents types d'habitats kaboulis : les constructions en béton plus ou moins luxueuses avoisinent les traditionnelles maisons en pisé. Et je vous en ai fait vivre les aléas au fil de mes saisons. Quand j'y suis arrivée, le jardin planté de roses et entouré de bâtiments de plain pied donnait un air d'opulence à une nombreuse famille, dont les rejetons s'affairaient à entretenir l'état, sinon le lustre. Quelques temps plus tard, un bâtiment peu amène s'est construit au-dessus d'eux, sans que ce voisinage encombrant semble affecter la sérénité des habitants.

Aujourd'hui, la cour n'est plus fréquentée que par une mamie échinée, et les toitures n'ont visiblement pas été entretenues pendant l'hiver, donnant lieu à une exubérance d'herbes folles. Après quatre ans de côtoiement, il semble bien que les modernes aient pris le pas sur les anciens.

2016 avr. 15

Bienvenue à Kaboul !

Arrivée à Kaboul
Comme moi, ces deux filles sortent de l'avion. Comme moi, elles ont attrapé à Istanbul le vol de nuit qui récupère tous les voyageurs en provenance d'Europe et à destination de l'Afghanistan. Comme moi, elles ont tiré leurs valises à travers les allées sécurisées jusqu'à la zone de stationnement où des familiers vont venir les chercher en voiture. Comme moi, elles attendent joyeusement, tout à leur bonheur de se retrouver dans la capitale chère à leur cœur, Kaboul jan... Comme moi, elles ont glissé sur leurs cheveux, à l'atterrissage, un foulard qui leur confère une aura de bienséance.

C'est un geste de pure forme, un simple ticket d'entrée. Car leur attitude les place d'emblée dans le clan des aventurières, des rebelles. Elles se congratulent en s'immortalisant mutuellement sur leurs téléphones. Leurs tuniques mi-longues dévoilent largement les courbes de leurs corps, haussés sur des talons improbables et soigneusement parés des attributs de la féminité flamboyante. Elles font partie de ces enfants de la guerre qui ont accédé à l'adolescence au beau milieu de la bulle de l'aide internationale, les jeunes 'Titanic' : ils portent à bout de bras et à leurs risques et périls l'ambition d'une société où les déterminations individuelles s'épanouissent et contribuent au progrès de tous. Elles sont la facette paillettes de la médaille du courage décernée périodiquement dans les soubresauts de l'actualité afghane, comme Farkhunda il y a un an, en avait présenté une facette vertueuse et martyrisée. Bon courage, les belles !

Dans la série des gestes d'accueil, j'ai eu droit aux grands sourires du fils du kaka ouzbek chez lequel je fais mon marché depuis quelques années. Jusqu'à présent, ce garçon d'une vingtaine d'années se renfrognait quand il me voyait débouler dans la boutique. Je comprend que, depuis la dernière fois, il a appris que j'étais française et non pas américaine comme il le croyait jusque-là... Manifestement, ça change tout !

2016 avr. 12

Fin de règne ou nouvelle saison ?

RER vers l'Ambassade
Le rite d'initiation d'une nouvelle saison, c'est l'obtention du visa. Pour inaugurer ma treizième, j'avais donc pris un peu d'avance en prévision de la difficulté de traiter à distance puisque je n'habite plus en région parisienne. Fin mars, pour un départ le 14 avril, j'ai adressé à l'ambassade d'Afghanistan à Paris le dossier par lettre recommandée avec accusé de réception. J'ai pratiqué de nombreuses fois (une vingtaine ?) la procédure de visu, restait à faire aboutir la procédure in absentia. J'ai commencé à m'inquiéter dès les premiers jours d'avril : impossible de joindre au téléphone le service des visas, en dépit d'une annonce enregistrée donnant des horaires très stricts : j'ai essayé avant, pendant, après, bernique ! Impossible donc de confirmer que mon dossier suivait son cours, même si le secrétaire de l'Ambassade m'assurait que si un quelconque problème surgissait on saurait me le faire savoir. Je lui ai précisé que je passerai moi-même récupérer mon passeport à l'ambassade avant mon départ.

Et puis, dès la seconde semaine d'avril, mes inquiétudes se sont faites plus précises : pas d'accusé de réception dans ma boîte aux lettres ilienne, et encore moins de contact avec le service des visas. Lundi, trois jours avant le vol et à la veille de mon départ pour Paris, le bureau de poste d'expédition du dossier confirme mes pires craintes : ma lettre n'a pas été distribuée, malgré deux présentations et une mise en instance dès le 2 avril au bureau de La Muette. Au téléphone avec le secrétaire d'ambassade, j'ose une pointe de sarcasme : "Permettez-moi de vous féliciter pour la nomination d'un nouvel ambassadeur !" en assortissant immédiatement ses remerciements d'une remarque perfide : "Est-ce la raison du manque d'organisation actuel des services consulaires ?" Aussi désobligeante que puisse sembler cette diatribe, elle obtînt son effet : le secrétaire m’assura qu'il se mettait immédiatement à la recherche de mon dossier. Ce matin, il était déjà en possession de l'avis de présentation et affirmait qu'il enverrait 'dès que possible' une personne à la poste se saisir de la lettre !

Le stress que provoque chez moi ce contretemps rend plus incisive mon analyse de la situation. Est-ce vraiment l'absence d'un ambassadeur depuis de longs mois qui a provoqué la déliquescence de l'administration afghane en France ? Est-ce plutôt la déliquescence générale de l’administration afghane qui se répercute par vagues successives jusque dans les représentations diplomatiques ? Ou encore s'agit-il d'une réticence spontanée de tout Afghan à exécuter simplement une tâche administrative somme toute ordinaire ? De fait, il y a à peine quelques semaines, j'ai été confrontée au même type de blocage dans ma mairie de banlieue parisienne, où je voulais obtenir un nouveau passeport - histoire d'avoir plein de pages blanches à faire remplir de tampons exotiques au gré de futures navigations. L'employée s'est trouvée démunie devant une question que je lui posais alors qu'elle était sous l’œil de sa hiérarchie, et elle a perdu son calme, m'intimant alors de reprendre rendez-vous plus tard. Autant dire que j'ai laissé tomber, en espérant trouver plus d'empathie et de zénitude dans les services de mon nouveau domicile...

Alors donc, ces différents incidents ne sont-ils pas, bien malheureusement, le signe que les sociétés du monde entier sont en train de se dissoudre sous les assauts conjugués de l'esprit de modernisation (en fait la suppression du liant humain dans toute démarche administrative), l'esprit de compétition (par lequel chacun cherche à tirer son épingle du jeu au mépris des conséquences pour autrui ou pour le bien commun) et l'esprit de clocher (qu'on appelle tribalisme à propos des régions 'non civilisées')? L'instabilité afghane n'en est pas une cause, elle en est un symptôme. Mais ce sont les populations de ces régions instables qui en subissent les plus graves conséquences. J'espère néanmoins que cette nouvelle saison obtiendra les résultats souhaités pour eux et pour nous : le démarrage d'un projet pilote de protection sociale pour les Afghans, financé par la solidarité internationale.

PS, jeudi matin : Hier, donc, j'en étais encore à me demander si l'essoufflement des administrations et le stress généralisé allaient bloquer ma nouvelle saison. Aujourd'hui, de retour de l'ambassade d'Afghanistan pour la deuxième journée consécutive, ayant littéralement fait le siège du consulat pour que ma lettre soit dument récupérée à la poste, j'aborde rassérénée la perspective de mon départ cet après-midi, passeport et visa en poche, avec pour viatique les photos du printemps en France, dans les jardins nantais ou sur les rives de la Seine. Kaboul est à nous !
Jardin des Plantes à Nantes

2016 fév. 15

Sandra Calligaro, Afghan Dream

Les sons du CD me plongent dans l'ambiance étalée en couleurs sur les pages de ton livre... Le résultat est encore plus fort que je ne l'imaginais ! J'y retrouve la résonance que le quotidien déchiré des Afghans n'a pas manqué de provoquer avec ta personnalité à fleur de peau. Et l'émotion permanente. Ce rêve en images est aussi une réalité incontournable, la perspective d'un mur plus inflexible que le béton qui quadrillera bientôt le monde entier si nous ne savons le rendre au mouvement essentiel de l'eau et du sable, à la fertilité de l'humus et à l'éclosion des roses.

Merci Sandra !

2016 janv. 16

Une hirondelle ne fait pas le printemps


Les Afghans possèdent de nombreux dictons, mais je ne connais pas celui qui correspond à notre proverbiale hirondelle. Bahar, le printemps, est le nom de la petite afghane que Rob Lowrie a voulu emmener vers sa famille anglaise. Qu'il n'ait pas subi les foudres de la justice mais seulement une peine symbolique n'atténue pas moins l'ampleur du problème. Des millions de personnes cherchent à fuir les zones instables du globe, ce qui est leur droit le plus absolu. Certaines se retrouvent coincées dans les arcanes indifférentes des administrations de nos pays, l'égoïsme de nos sociétés et la précarité de camps de fortune, tel celui de la jungle de Calais. Ce n'est pas la place d'une petite fille de quatre ans. Ce n'est pas non plus digne des fondements de nos institutions : "Les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en droits."

Signer, donner comme vous pouvez le faire par les réseaux sociaux, ne suffit pas. Les pays d'origine de ces millions de migrants subissent la rapacité de notre logique de compétition économique, industrielle et sociale : c'est pour exploiter leurs matières premières que les empires du monde se font la guerre chez eux. La solution ? Baisser les exigences de croissance de nos sociétés riches, et réaffecter une part de l'action militaire à l'aide au développement pour les populations à la source de ces mouvements de survie. C'est aussi construire des systèmes de protection sociale qui permettraient à chacun de garder l'espoir d'une vie digne dans sa société d'origine. A nous de les y aider.

PS : Et parce que les nouvelles se suivent sans se ressembler, je viens de récupérer ma valise égarée depuis samedi dernier... Le livreur dit qu'il y avait un pataques indescriptible à Roissy, et que mon bagage faisait partie d'un lot de plusieurs centaines concernant plusieurs compagnies. Un couac, quoi ! Conclusion, la compta d'AD est en lieu sûr - ainsi que mon Opinel, et je vais pouvoir régaler mes amis des amandes, oranges amères, krout, grenades et senjet qui en constituaient l'essentiel :)
Badam, narendj, krout, anar, senjet, produits du terroir afghan

2016 janv. 13

Drifting East

Drifting East, musique afghane
La saison 12 aurait pu se clôturer sans tambour ni trompette, mais l'Afghanistan ne se laisse pas si facilement oublier et ce sont tablas, viole et violoncelle qui m'ont été proposés pour dériver vers l'est. ''Drifting East'' est un CD produit par trois jeunes artistes qui se sont rencontrés à Kaboul à l'initiative du Centre national de la Musique, et qui proposent des arrangements de mélodies afghanes pour instruments à cordes occidentaux. Merci Bruno !

Certains rappels sont moins heureux. Ainsi, depuis trois jours je tire toutes les ficelles possibles pour récupérer ma valise. C'est qu'outre les habituels cadeaux de fruits ou artisanat local, elle contient des documents irremplaçables, les originaux de toutes les factures de la comptabilité annuelle de l'association que je suis partie auditer, Afghanistan Demain. Les petits malfrats qui l'ont peut-être laissée éventrée dans un bois se fichent pas mal des dégâts qu'ils produisent, écœurés sans doute du manque de réel butin. Espérons que les procédures légales aboutiront, et qu'en prime je récupèrerai l'Opinel que j'avais déjà sauvé l'année dernière après un acte aventureux, alors qu'il est maintenant sagement coincé au fond de ma trousse de toilette, à mon désespoir. Heureusement, il y a la musique pour me consoler ;)
Dépôt de plainte

2016 janv. 10

A tire d'aile

Constructions au nord de l'aéroport de Kaboul
Ce furent deux mois bien remplis et plutôt agités. Sur cette période, Kaboul a été soumise à cinq tremblements de terre, une attaque à la roquette, six attentats suicide au véhicule piégé, les nouvelles de perte de contrôle d’une dizaine de districts dans tout le pays, trois heures chaque jour de coupures d’électricité tournantes quoiqu’imprévisibles, une déconnexion d’internet toutes les vingt minutes sur le réseau 3G, des embouteillages biquotidiens aux heures de pointe, une rupture de câble réseau international, une quantité innombrable d’événements familiaux imprévisibles, aucune chute de neige, et beaucoup de paroles creuses concernant les pourparlers de paix, la situation sécuritaire ou le développement économique. L’ensemble appose aux différentes rencontres une difficulté certaine pour nos interlocuteurs à rester focalisés sur des questions précises, ainsi qu'une propension à rechercher des dérivatifs auprès des représentants du monde qui leur est inaccessible.

On les aime. On reviendra. Et au moment du départ, on se réjouit des péripéties somme toute bénignes. Le vol est retardé de quatre heures parce qu'il faut changer d'avion et en faire venir un autre d'Istanbul ? Cela prouve le sérieux de la compagnie à laquelle on confie son transport. Et de surcroit cela permet un décollage à une heure inhabituelle avec un ensoleillement parfait pour les photos. Au nord de l'aéroport se profile une nouvelle ville, née de la pression démographique de millions de déplacés venus chercher à la capitale les promesses du développement économique, là où l'espace n'était, il y a dix ans, dérangé que par les compétitions de bouzkachi.

Koh-e Paghman
Ensuite c'est le déroulé des magnifiques montagnes couvertes de neige, dont on suit la progression avec le coucher du soleil. Quand on atteint Istanbul, la nuit vient de tomber, et la ville projette toutes ses lumières dans un kaléidoscope géant. On sait qu'on n'aura qu'une demi-heure pour changer de vol, et on a la chance d’attraper la correspondance ! Alors on considère comme un avantage supplémentaire que son bagage n'y ai pas, lui, fait le transfert en même temps... puisqu'il arrivera tout seul à votre porte le lendemain matin, livré par les équipes de l'aéroport, ce qui vous évite d'avoir à trimballer vous-même les trente kilos de menus cadeaux qu'il contient ;)

A vous revoir, les Kaboulis !
Lumières d'Istanbul

2016 janv. 7

Soupe de poulet, avec des légumes !

La soupe de Pakiza
A la faveur des embouteillages, on savoure les détails couleur locale, comme ici l'éventaire ambulant de Pakiza, qui vante et vend au détail une "soupe de poulet avec des légumes"... On ne l'a pas goûtée, puisque les consignes enjoignent de filer au plus vite afin de ne pas attirer l'attention. Mais le pas de sénateur que nous impose l'heure de pointe aux abord du pont d'Hartal permet de saisir la qualité des légumes promis, tels que fournis par les maraîchers du lieu...
Légumes au détail ...ainsi que le cadre de vie des clients.
A flanc de Sher Darwaza, le quartier Pol-e Hartal

C'est dans ces quartiers populaires de Kaboul, comme dans les quartiers plus chics, que se manifeste "l'âme afghane". Ainsi, il y a quelques jours, l'Ambassade avait-elle émis un message d'alerte : le soir même, l'Afghanistan jouait à Delhi la finale de la coupe inter-asiatique de football. En cas de victoire, la ville risquait d'exploser, sous forme de tirs de joie... à balles réelles bien sûr puisque les armes sont largement disponibles dans chaque foyer qui se respecte, entre autre mais pas seulement pour ces manifestations traditionnelles d'enthousiasme. On sait que des mariages ont été pris pour cible par des drones pour ce simple motif. On sait aussi que même tirées en l'air, des balles peuvent faire des victimes malheureuses. En prévention, et pour encourager l'expression symbolique de l'honneur dans le sport, le gouvernement afghan lui-même s'était fendu d'un message de soutien aux sportifs nationaux - message assorti d'une interdiction des tirs festifs. Le soir dit, j'ai bien entendu deux ou trois salves, c'était à l'occasion du premier but, marqué par l'équipe afghane. Puis la soirée s'était perdue dans la déception, l'Inde ayant égalisé juste avant la fin du temps réglementaire, puis marqué de nouveau dans les prolongations. Néanmoins l'honneur était sauf, et l'équipe fut accueillie en triomphe en dépit des attaques répétées des talibans contre l'aéroport.

Hier soir, réveillée dans mon premier sommeil par des rafales de kalachnikov, j'ai rapidement compris que l'honneur national était de nouveau sollicité : les pétarades festives ont duré plus d'une demi-heure dans toute la ville. Ce matin seulement j'en ai compris l'objet : l'Afghanistan vient d'accéder en première division internationale de cricket en battant le Zimbabwe à Dubaï à Sharjah aux Emirats. La soupe locale aura meilleur goût pour tous ! (PS : J'apprends à l'instant par les news qu'une personne a été blessée hier soir et que 35 autres ont été arrêtées en liaison avec les débordements festifs. Pour eux, la soupe sera moins bonne...)
Echoppe à Pol-e Hartal

2016 janv. 5

Soufi

Saint homme à la flute
C'est pour se couler dans son aura de sérénité qu'on arpentera les rues. Pour retrouver la musique des sphères et les paroles de l'infini dispensées par le saint homme à la recherche de vérité. Comme lui peut-être, on voudra se nourrir de fromages et de fruits secs. Ou alors on se laissera tenter par les succulents mets traditionnels que la carte propose aux amoureux du lieu.
Krout au naturel avec fruits secs

Sur le chemin, pourtant, on est pris d'un doute. N'est-ce pas le prochain lieu promis à la vindicte des terroristes ? Justement parce qu'il reçoit ceux, locaux ou internationaux, qui cherchent à faire retraite de la fureur du monde. On y rencontre les amis insaisissables autrement derrière les multiples niveaux de sécurité érigés à cause de ces mêmes terroristes. Ici à Kaboul, on comprend comment une société soumise à un stress sécuritaire impitoyable et multiséculaire a abouti à une culture de l'enfermement librement accepté. C'est celui qu'imposent les délégations étrangères placées dans le même contexte... Le soufisme n'est-il alors qu'un moyen de se libérer d'une réalité autrement insupportable ? Est-ce cela la découverte afghane ?

On aperçoit le jardin derrière le verre brisé. Y pénétrer pour vivre est en soi un risque. Il n'est pas de vie sans risque.
A travers le verre brisé

2015 déc. 31

Ça ira mieux demain... bonne année !

Portefaix en attente d'embauche
Manœuvres pour un ou deux dollars la journée, les portefaix signalent leur disponibilité au bord de la route. Et comment y être mieux installé que sous les rayons du soleil d'hiver, bien calé dans l'outil de son travail, l'instrument de son artisanat... dont l'entretien parfait garantira l'empressement des clients à venir !

Demain, le business sera florissant ;) Bonne année !

2015 déc. 29

Karatchi

Bottier ambulant sur karatchi
Quand un enfant travailleur vous parle de karatchi, il ne pense pas à la grande ville portuaire du sud du Pakistan, où pourtant peut-être il est né quand sa famille était en exil. Non, il s'agit bien plutôt de la carriole ambulante qu'il pousse, seul, avec son père ou avec un patron d'occasion. Ils sont omniprésents dans les rues de la ville, autant d'étals soigneusement présentés qui fournissent l'essentiel de l'approvisionnement des familles populaires. Ces commerces ne sont soumis à d'autre réglementation que le bon vouloir du policier qui régente le coin de trottoir où l'on s'arrêtera, au besoin en lui graissant la patte.
Vaisselier sur karatchi à Kaboul
La semaine dernière, dans les centres d'accueil de jour d'Afghanistan Demain, à YakaTut près de l'aéroport, à DehMazang à flanc de la montagne de la télé ou à ChehelSetoun au sud de la ville - où certains d'entre eux bénéficient de cours de rattrapage scolaire pour réintégrer l'école publique - ils étaient plusieurs à nous expliquer leurs horaires : levé à six heures - il fait encore noir - pour se mettre en route le ventre creux vers la ville en poussant sa charge, et espérer se trouver à l'endroit convoité à l'heure de pointe (huit heures); de longues heures à attendre le chaland dans le froid avant d'être libéré pour rejoindre le centre à treize heures et y trouver enfin son premier repas de la journée. Et pour ce labeur, rapporter à sa famille entre 70 et 150 afghanis par jour, entre un et deux dollars.

Il me semble bien reconnaître le sourire de ce vaillant garçon partageant avec son père les devoirs de l'économie familiale.

PS qui n'a rien à voir : voici sur internet le résultat de la consultation dont je vous parlais la semaine dernière :) La chère Anastasia reprend les termes tels quels, puis interprète comme elle l'entend, mais pouvait-on s'attendre à autre chose...? Merci Google Alerts de m'avoir... alertée ;)

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