Me voilà renvoyée à mes occupations habituelles. J'ai finalement siégé au
jury de deux affaires de la session d'Assises qui m'a retenue ces dernières
semaines: une histoire d'inceste, une autre de viol entre amis. Outre l'horreur
des situations décrites et l'abîme dans lequel ont sombré les victimes et les
accusés - qui tous deux ont avoué à l'occasion de ces audiences, c'est l'échec
des institutions sociales et judiciaires qui s'impose. Dans un cas, tout un
entourage familial, amical et professionnel est resté pendant plusieurs années
insensible aux signaux qui auraient pu alerter sur la violence faite à des
enfants, la séparation des parents pouvant expliquer le comportement erratique
des filles violées. Dans l'autre, un enfant déraciné devenu au fil des ans un
petit délinquant multi-récidiviste, n'a pu trouver de réponse psycho-sociale
adaptée aux séquelles qu'il porte de situations de violence vécues avant
d'arriver en France ; jusqu'au point où, très jeune adulte, sa rage se
retourne contre la seule personne qui l'a accompagné pendant des années.
Ces cas sont des symptômes de la violence que véhicule notre société. La croire
- cette violence - caractéristique des zones de fracture comme l'Afghanistan
est un leurre. Elle est issue de notre monde de compétition qui concentre les
ressources entre les mains d'un petit nombre de puissants prédateurs, lesquels
font croire au plus grand nombre que s'ils n'arrivent pas au sommet c'est parce
que les plus vulnérables volent leur part du gâteau.
C'est seulement le traitement social de cette violence qui est différent. En
Afghanistan, les règlements traditionnels tentent de trouver une solution
collective aux conflits : les familles prennent la responsabilité des
égarements des leurs, et s'engagent en bloc dans une démarche de réhabilitation
du coupable, de réparation de la victime et de réconciliation de la communauté,
parce que seul l'honneur du groupe permet de survivre dans la violence. En
France, une transgression des règles doit trouver un coupable, lequel doit être
puni. Et le plus souvent, la condamnation est accompagnée d'un rejet de
l'environnement. Seules les mères anéanties rendent visite par la suite aux
détenus enterrés vivants; pères, frères ou sœurs, amis, collègues ne prennent
souvent même pas la peine de venir témoigner aux procès.
Ces condamnés sont des boucs émissaires.
2015 fév. 12
Fin de session
Par Gauhar