2015 mai 7
Réalités rapiécées
13:14 - Par Gauhar - Saison 11 - Lien permanent
Plus de connexion internet depuis hier soir. Me voilà larguée à terre. Nimic
II continue sa route tout seul, sur les quelques ordres enregistrés au pilote à
la dernière mise à jour de la météo. Avec un peu de chance le vent l’amènera
jusqu’au large de Manhattan, où j’avais envisagé de raser le cordon dunaire de
Long Island pour profiter des vents de terre jusqu’à Newport. La meute des
loups de mer est restée au large, dans l’énorme chaudron de pétole qui clôture
cette étape de la VOR et que je voulais contourner par l’ouest. Dans mes rêves.
Sans instructions pour négocier l’arrivée, mon pixel va s’échouer sur une plage
avant l’entrée du chenal, et peut-être même dans la
no-sail-zone.
Cinq heures quinze ici. Le concert des muezzins salue le point du jour. La
lumière blafarde s’illumine progressivement de taches roses entre les nuages.
Le coq s’époumone. La rumeur de la ville efface progressivement le chant des
oiseaux. Pas de soleil radieux ce matin, mais le calme relatif d’une journée
demi-chômée pour les administrations. Les commerces sont en principe ouverts,
reste à savoir si la journée me suffira pour récupérer au moins l’une de mes
deux connexions. Insta en DSL, en rade depuis quinze jours, Etisalat en 3G,
muet depuis une demi-journée, qui va assurer ?
Petit déjeuner habituel de céréales agrémentées de fruits et yaourt frais et
saupoudrées d’amandes. Locales, les amandes… j’y fais bien attention depuis que
je me suis rendu compte qu’une bonne part des appros arrive des
Etats-Unis ! La clémentine est surie. Elle vient de chez le kaka
ouzbèk d’en face, qui me gratifie toujours d’un grand sourire en me fourguant
sa marchandise. Son yaourt est délicieux, mais il faudra peut-être que je
change de fournisseur parce que ses primeurs manquent de fraîcheur.
J’ouvre grand les fenêtres pour aérer avant la montée de la chaleur. A la
cuisine, vers le nord-ouest, les chaînes de montagnes s’étirent les unes
derrière les autres, de plus en plus hautes, comme des colliers de dentelle
serrés sur la ville. J’en compte sept rangs successifs, depuis les sombres
collines couvertes de maisons en terrasse jusqu’aux sommets aux neiges
éternelles que le vent déchire. Entre les deux se terre le lac artificiel de
Qargha, réservoir de la capitale, et plus loin les vertes prairies de Paghman,
devenues repaire d’insurgés après avoir abrité les splendeurs estivales de la
monarchie.
Sortie à huit heures moins le quart, histoire d’arriver à l’ouverture. J’en
profite pour faire un peu de marche, les occasions sont si rares. J’essaie
d’être le plus invisible possible, je m’applique à marcher comme une femme
d’ici, histoire qu’on ne me repère pas de loin… Les pieds en canard, le poids
du corps entièrement sur l’arrière, je n’avance une jambe que quand l’autre est
fermement plaquée au sol. J’ai la démarche chaloupée d’une matrone, tant pis
pour les muscles et l’élasticité parisienne.
Les employés d’Insta sont alignés en silence derrière leurs comptoirs, plutôt
contents de voir arriver un chaland. Leur système est au point :
« Tout va bien chez nous, Madame, c’est votre ligne qui ne fonctionne pas.
– Ce n’est pas ma ligne, c’est la vôtre ! » Il sourit. En effet, le
contrat stipule que la compagnie est responsable du matériel. Pendant qu’il
sort s’enquérir d’une solution auprès des services techniques, un autre client
vient se plaindre d’une connexion aléatoire… « Nous ne pouvons pas
garantir à cent pour cent, Monsieur, vous savez bien, les coupures
d’électricité, et tout ça… » Il repart sur des proclamations de
patriotisme. Je repars avec l’assurance que mon problème sera réglé dans
l’heure !
Trois quart d’heures plus tard arrive chez moi un jeune technicien qui ne peut
que constater l’absence de signal sur la ligne, et appelle les services
techniques de la compagnie de téléphone. Il est neuf heures, je me retranche en
attendant.
Au bout de deux heures, je décide qu’il est temps de changer mon fusil
d’épaule, et je me présente chez Etisalat pour comprendre pourquoi il n’y a
plus de 3.75G sur mon webtrotteur. C’est simple : un coup d’œil
aux logs indique que ma dernière recharge, il y a deux jours, s’est perdue dans
les méandres du système. « Pas de problème, Madame, dans quarante-huit
heures ça sera recrédité sur votre compte ! » et il recharge aussitôt mon
compte pour 4 GO.
Bilan ? La 4G vainqueur par KO. Pas de nouvelles des zozos de la ligne
ADSL. Et puis, question tarif, ya pas photo !
Et pendant ce temps-là… mon pixel fait une monumentale cuiller en VMG le long
des côtes américaines autour de la flotte perdue dans sa tempête de pétole.