Saison 7

Suivi de projets, de janvier 2012 à juillet 2013.

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2013 juil. 28

Des Afghans chez les Vikings

Camp de réfugiés à Torpo, Norvège

La Norvège est devenue le premier lieu de destination de beaucoup de réfugiés, et en particulier des Afghans. J'étais la semaine dernière en visite chez des amis nouvellement arrivés, qui partagent avec une vingtaine de familles du monde entier les baraques d'un ancien camp de vacances, réquisitionné à cet effet par le gouvernement norvégien. En plein été, l'endroit est idyllique, au bord d'une rivière propice à la pêche sauvage qui descend des montagnes tapissées de conifères. Pas même un moustique pour ternir l'enthousiasme. Pourtant, la durée de la journée nordique - plus de vingt heures à cette latitude - alourdit les obligations du musulman soucieux de respecter le rituel du ramadan en cours.

L'hiver, ce sera autre chose, avec la nuit presque continue et la neige abondante, et aucune activité à la ronde si ce n'est l'engagement à apprendre le norvégien. A celles qui viennent d'arriver et s'inquiètent, des anciennes assurent que cela vaut bien mieux que la vie qu'elles pourraient mener en Afghanistan. Certaines ont des doutes, et il n'est pas impossible qu'on les retrouve prochainement dans un avion pour Kaboul.

Chutes de Hemsedal, Norvège

2013 juin 1

Zone de fracture et fin de saison ;)

Quarante-trois ans de Dijon à Kaboul

C'était il y a deux jours, dans la salle du Conseil de l'UER de Droit et Lettres de l'université de Bourgogne, à Dijon, lieu de ma rencontre avec l'Afghanistan. Je me suis présentée devant le jury devant évaluer mon travail de dix ans intitulé L'Afghanistan et le langage de l'égalité : une approche de la poïétique du contrat social sur une zone de fracture du système-monde. Voilà, c'est fait : je suis docteur en science politique !

Cet événement marque la fin d'une étape, la fin de ma saison 7, donc. A l'automne, je serai de nouveau en Afghanistan pour démarrer de nouveaux travaux, fondés sur les conclusions de cette thèse mais plus concrets. Ce sera l'occasion d'ouvrir une nouvelle saison.

Il m'aura fallu quarante-trois ans pour parcourir ce chemin de Dijon à Kaboul, et il n'est pas fini. A bientôt donc, je vous embrasse !

2013 mai 6

Merci à Boz M.

Les filles de Boz

Voilà un intérieur afghan traditionnel : une pièce rectangulaire aux murs blancs et nus, meublée de coussins posés au sol, éclairée d'une fenêtre donnant sur une courette et, plus loin, sur les montagnes. On frappe à la porte métallique d'une main ferme pour annoncer sa visite. On y est alors accueilli avec un thé vert accompagné de bonbons et de biscuits.

Aujourd'hui, nous étions allés en délégation présenter nos condoléances à la famille d'un ancien chauffeur, mort récemment des suites d'un accident subi au service d'un autre employeur. Boz Mohammad, que nous surnommions affectueusement 'Mister Boz', avait infatigablement pris soin de nos déplacements pendant des années chez Afghanistan Demain. Sa bonne humeur et sa débrouillardise avaient entretenu l'enthousiasme. Son calme imperturbable nous avait généreusement rassurés en toute circonstance.

Sa femme et ses six enfants doivent maintenant faire face aux difficultés du quotidien qu'aucune forme de protection sociale ne viendra adoucir. Le fils aîné, âgé de vingt ans, en aura entièrement la charge. Famille et amis pourront seuls aider à l'occasion. Telle est la dure réalité afghane.

Boz Mohammad, chauffeur d'AD

Merci Mister Boz, repose en paix, tes amis ne t'oublieront pas.

2013 mai 2

Lever de soleil sur Kaboul

Lever de soleil sur Kaboul

Bien sûr, ce n'est pas la première photo de ma fenêtre que je vous mets. Il me semble pourtant qu'aucune ne montrait cette lumière, un petit matin parfaitement dégagé sur un ciel lavé par deux semaines de pluie. La température n'est encore pas très élevée, et la journée d'hier a suffisamment séché les sols pour que la brume n'en monte pas, mais pas encore au point où la poussière l'aurait remplacée. Splendide, magique, rare.

2013 avr. 30

Boulange

Boulangerie à Kaboul

A l'heure du déjeuner, c'est un délice de se rendre à l'étal du boulanger qui vous sert les galettes odorantes juste sorties de son four.

Pour vous en donner une idée, j'étais sortie avec mon appareil photo dont les batteries commençaient à faiblir. J'avais donc commencé mon parcours en faisant les échoppes du coin à la recherche d'articles de bonne qualité, mais seules des piles chinoises se trouvent dans le quartier :( , celles dont je sais qu'elles ne tiennent pas plus qu'une ou deux prises de vue. J'en avais quand même acheté deux pièces, juste pour l'occasion.

Arrivée à la boulangerie, on m'accueillit comme à l'habitude, avec la déférence réservée aux femmes, une étrangère qui plus est. Je montrais que je voulais faire des clichés, ce qui amusait la chalandise ;) Mais horreur, les piles juste achetées s'avérèrent totalement sèches et le temps que je replace les anciennes déjà faibles, le joli monceau de miches croustillantes était déjà envolé !

Il ne me restait plus qu'à réserver la puissance restante à saisir l'air important mais agacé de l'artisan, sans que l'image puisse montrer les ouvriers en action au dessus du four, juste derrière.

2013 avr. 29

Des nouvelles du terrain

Formation des conseils de paix en Sarobi

S'il fallait quelques raisons d'espérer, les réunions d'anciens rassemblés autour d'une jeune femme venue échanger avec eux des techniques de résolution des conflits et des pratiques de paix en sont bien une ! Bravo CPAU !

2013 avr. 24

L'art du bétonnage

Pose de dalle en béton

Juste à côté du toit de pisé sur lequel pelletait le gamin de l'hiver dernier est en train de naître l'un de ces immeubles en béton qui signalent la nouvelle prospérité des Kaboulis. Depuis mon poste d'observation imprenable, j'ai admiré l'activité des ouvriers de diverses qualités, encadrés par un chef de chantier fièrement habillé d'une tenue parfaitement blanche. Hier soir, sous une pluie battante et alors que la nuit était déjà tombée, il était venu vérifier la pose des goulettes pour l'électricité au milieu du grillage métallique surmontant le coffrage.

Et ce matin, alors que la bruine continue de poser la poussière au sol, une armée de manoeuvres s'est présentée à l'embauche pour déverser sur l'ouvrage les brouettes de béton frais qui vont progressivement constituer la dalle. J'avais été réveillée par leurs exclamations un peu avant six heures. Et maintenant, c'est le bruit de la bétonnière qui couvre tous les autres.

Ils prennent juste, entre deux pelletées, le temps de s'accroupir dans un coin pour casser la croûte.

Sans soleil, la photo n'est pas très nette. Peut-être y en aura-t-il une meilleure d'ici quelques jours, quand le soleil sera revenu. Je ne voulais pourtant pas vous faire manquer ces grands moments de l'art du bétonnage, aujourd'hui comme il y a deux jours dans des lieux plus institutionnels.

Huit heures et demie, le soleil pointe son nez, l'opération est à moitié réalisée...

Bétonnage en cours

Dix heures, c'est fini, on range. Bravo !

La dalle est coulée !

2013 avr. 23

Rapport intermédiaire SeLJuKaS

Conférence SeLJuKaS

Hier, il y avait grande opération de communication à Kaboul : l'ambassade de France et les opérateurs du projet de soutien à la justice locale en Kapisa et Surobi (SeLJuKaS) avaient convoqué la presse pour lui communiquer les résultats intermédiaires des opérations. Aaaah, le bel exercice de style ! Aaaah, l'abondance des superlatifs et des auto-congratulations ! Aaaah, la satisfaction d'être traitée en V.I.P. :)

Je ne boude pas mon plaisir, j'y étais invitée d'honneur. J'aurais juste souhaité entendre le point de vue des personnes à qui ce programme est destiné, les habitant(e)s des villages éloignés de l'administration centrale, ceux qui préfèrent s'adresser aux médiateurs traditionnels plutôt qu'aux fonctionnaires de la justice gouvernementale quand ils ont un problème à résoudre.

Heureusement, j'ai encore deux semaines pour aller en juger directement sur le terrain ;)

2013 avr. 20

Pigeons de Kaboul ?

Une mouette du Bosphore

Un battement d'aile dans le ciel parisien, c'est en général un ramier en quête, seul ou en couple, d'une aubaine comestible ou d'un lieu où nicher. On s'agace vite de leurs salissures quand ils choisissent votre fenêtre pour s'établir et l'on finit pas les ignorer pour ne pas leur être hostile. Il y a, à Istamboul, un léger retard cognitif avant de remarquer que les myriades d'oiseaux qui tournoient dans le ciel sont plutôt des mouettes, car oui, cette ville géante et polymorphe est d'abord un port de mer. Celle-ci me narguait à deux mètres, campée sur le bord de la jetée avant de reprendre son tournis dans le sillage des ferries.

Ma promenade hier en leur compagnie fut de celles qui transportent dans l'imaginaire du grand large. Elle s'est poursuivie en virtuel car les mouettes ont peuplé ma nuit de transit, dans les rêves hachés entre deux atterrissages. A tel point que ce matin, au premier mouvement dans le ciel de Kaboul, je pensai 'mouette !'... puis me repris d'un 'mais non, pigeon !' Et bien justement pas ! Les pigeons des villes afghanes ne traversent pas le ciel en solo, ils sont toujours en packs serrés contrôlés de loin par un maître les menant à la baguette. Les centaines de particules qui virevoltent dans le vent comme des copeaux au-dessus d'un feu sont des cerfs-volants :)

Ménager un accès à la mer est une des obsessions des politiques afghanes, mais ce n'est pas demain qu'on verra des mouettes à Kaboul, ni que les pigeons de kaboul, tous voyageurs ou apprivoisés qu'ils soient, résoudront la quadrature du cercle afghane : comment communiquer et échanger alors qu'on est justement localisé sur une fracture du monde ? Les Afghans vont-ils continuer à être ignorés comme le sont les pigeons parisiens ? Et leur art du cerf-volant restera-t-il un particularisme des confins ?

Bien arrivée, je suis ! Et il ne m'a pas fallu plus de vingt-quatre heures avant de récupérer chez moi une connexion internet ! Vous voyez, tout va bien ;)

2013 avr. 18

Corne d'Or

Il y a deux ans je vous l'avais promise, voici ma photo d'une mosquée stambouliote au coucher du soleil. Ne me demandez pas son nom... J'ai choisi le cliché en détail (c'est un exploit d'en faire entrer une entière dans un cadre), plutôt qu'un plan large qui donnerait un aperçu de l'incessant mouvement des ferries entre les deux rives.

Mosquée à la Corne d'Or

Quand on s'est promené sur les rives européennes à la fin d'une belle après-midi, le nom Corne d'Or prend tout son sens. Badeaux, bateaux, pêcheurs et petits commerçants s'emblent baigner ensemble dans une lumière douce et mordorée qui déverse sur eux un état de plénitude qui pourrait être récompense quotidienne de leurs avanies. On voudrait alors être comme eux natifs d'Istamboul. On se console en sachant que chaque escale fournira son lot de merveilles à la découverte des recoins de la ville.

Et tiens, je ne résiste pas à vous mettre quand même une photo de la mer ;)

La rive orientale par le ferry

2012 déc. 6

La mairie de Paris à l'heure afghane

Plaidoyer pour la suite

Les réunions se succèdent pour tenter d'ouvrir les perspectives afghanes. Hier, c'était sous les bas-reliefs centenaires de l'hôtel de ville de Paris que se tenait un séminaire intitulé "L'Afghanistan, de Bonn à Tokyo : quelles réalités et quels devenirs ?"

Un aréopage talentueux mêlant témoins afghans aéroportés pour l'occasion et spécialistes français incontournables s'est attaché à convaincre que la population afghane attend mieux de la solidarité internationale qu'un traitement de pitié ou au contraire une gabegie destinée à favoriser les intérêts des bailleurs de fonds. Les clichés répétés dans les média ont été démontés. Dit-on que l'insécurité est bien plus souvent le résultat des affrontements des chefs de guerre pour accaparer l'aide internationale que des exactions idéologiques des insurgés - bien existantes néanmoins ? Clame-t-on que si un kilo de résine de pavot sorti d'Afghanistan rapporte 8.000 euros localement - où ces revenus déséquilibrent l'économie - le même kilo se monnaye à 80.000 euros sur le marché européen... Qui profite de la différence ? Sait-on que le port de la burqa est choisi par un certain nombre de femmes, parce qu'il leur permet de sortir de chez elles, alors que leur environnement masculin aurait plutôt tendance à les y confiner pour garantir leur sécurité ? Rappelle-t-on que les programmes de développement ne peuvent réussir que s'ils émanent de la population - avec une adapatation à ses méthodes et ses contraintes - et s'ils sont soutenus sur le long terme ?

Deux réflexions personnelles. D'abord, la tristesse à constater que l'assemblée comprenait un public déjà convaincu : à une question générale, c'est une forêt de mains qui se sont levées pour signaler que l'auditeur était directement lié à l'Afghanistan, par son origine ou par son travail. Et donc, les quelque deux cents personnes qui se manifestent à chaque occasion afghane fonctionnent plus ou moins en circuit fermé, le cercle ne s'élargit pas. L'Afghanistan n'intéresse pas, ou plus, ou n'a même jamais intéressé au-delà des inquiétudes viscérales véhiculées par ceux qui entretiennent volontairement l'islamophobie.

Un petit évènement personnel m'a pourtant aussi réjouie. Parmi les invités venus de Kaboul se trouvait Noorkhanum, une jeune femme médecin que j'avais rencontrée en 2005 à l'occasion de mon enquête sur la perception de l'égalité. Employée par une grande ONG internationale, elle faisait alors de la sensibilisation aux pratiques d'hygiène auprès des femmes. Elle m'avait raconté qu'elle avait été obligée par sa famille d'accepter de se marier alors qu'elle aurait souhaité se consacrer à sa profession, et commenté : "Ce n'est que quand j'ai commencé à travailler pour ce programme et à rencontrer toutes ces femmes que j'ai réalisé combien mon mari était compréhensif !" Huit ans plus tard, Noorkhanum est devenue la responsable de l'ensemble du programme de santé de cette ONG.

Et devant l'assemblée, alors qu'elle venait en France pour la première fois, alors qu'il y a sept ans nous avions dû échanger par l'intermédiaire d'un interprète, Noorkhanum s'est exprimée devant l'assemblée dans un anglais parfaitement maîtrisé pour défendre avec méthode et passion l'avenir de son pays.

2012 déc. 3

SeLJuKaS en représentation à Paris

Délégués afghans au séminaire Pluralisme juridique
Aujourd'hui et demain se tient au ministère des Affaires étrangères un séminaire à l'occasion de la sortir d'un ouvrage sur le pluralisme juridique, auquel ont été conviés quelques opérateurs du programme SeLJuKaS en soutien à la justice locale, dont j'ai déjà eu l'occasion de vous parler. Un président de cour d'appel, un médiateur local et deux représentants d'ONGs intervenant en Kapisa auront ainsi, par leurs présentations, permis de toucher du doigt la problématique de l'exercice de la justice dans les zones où elle est un instrument de l'affrontement de pouvoirs antagonistes.

Espérons que nos invités auront également pu apprécier, ne serait-ce que rapidement, les charmes de la vie parisienne.

Et j'en profite pour vous faire partager une pépite d'élégance et d'invention au service de la protection.

2012 oct. 26

Marmara

La mer de Marmara à Istanbul

Mes dernières photos d'Istanbul étaient sous la neige. Cette fois-ci, j'ai profité du temps clément et d'une escale un peu plus longue pour rôder sur le front de mer au lever du soleil, quand les fêtards viennent de partir se coucher...

2012 oct. 22

Sortie d'école à l'afghane

Entrée du lycée Amani

En contrepoint des ribambelles de jeunes filles du Kohistan, voici les garçons qui entrent au lycée Amani. C'est l'un des plus vieux établissements de la capitale, il est situé juste à côté du palais présidentiel et attire les enfants des familles aisées. Une initiation impitoyable aux nécessités de la sécurité en temps de guerre... puisque les élèves doivent passer devant les lieux les mieux protégés comme l'OTAN, les Nations Unis ou... l'ambassade de France !

Visite en Kapisa et Panjshir

Préparation au sacrifice

Hier, nous avons pris la route du nord pour rejoindre Mahmoud-e Raqi où je voulais rencontrer quelques-uns de mes contacts. Dès que nous avons quitté la grand-route, nous avons croisé les paysans affairés à la préparation du week-end de fête. Les troupeaux de moutons s'étalaient nonchalemment sur la chaussée, dirigés d'une ferme férule vers leurs prochains acheteurs pour la célébration du sacrifice. Nous étions partis tôt, pour trouver nos interlocuteurs en pleine activité : le vice-gouverneur nous fit cadeau de deux caisses de grenades juste mûres, prises sur le lot que venait de lui apporter un habitant de Tagab, sollicitant un port d'arme pour assurer sa protection.

Nous avons aussi passé un long moment avec le juge de Tagab, justement, un entretien qui faisait pendant à celui que j'avais eu la semaine précédente avec le formateur des conseils de paix du même district. Cette mise en regard m'a permis de mieux toucher du doigt les perceptions différentes de la justice, entre ceux qui souhaitent punir les coupables et ceux qui espèrent obtenir une pacification du corps social. Il faudra encore du travail avant de réconcilier les deux points de vue en faisant valoir leur complémentarité.

La route de Gulbahar
Nous avions fini nos discussions assez tôt pour continuer plus loin vers le nord, sur la route qui va vers Gulbahar en traversant les deux districts du Kohistan. Au fur et à mesure, l'air se purifiait des poussières de la grande ville, et soudain on se trouvait au pied des montagnes étincelantes dans le soleil, sous le dégradé de couleurs de leurs escarpements. Dans les prairies, les jeunes filles se dirigeaient vers l'université Al Bironi, comme des farandoles de sagessse invoquant l'avenir.

Déjeuner au bord du Panjshir
Il n'y avait plus alors qu'à aller profiter d'un pique-nique au bord de l'eau, le plaisir afghan par excellence.

2012 oct. 20

Kaboul, ville en siège ?

Le tombeau du saint asphalté !

Vendredi, j'ai traversé la ville à pied pour rendre visite à des amis du côté de la montagne de la télévision. Je m'étais promis de saisir l'occasion de cette ballade pour illustrer les grands travaux de rénovation urbaine qui transforment la ville en un vaste chantier, perdu au milieu d'inextricables embouteillages créés par les réfections d'égouts ou asphaltages divers.

Sur une grande avenue transversale, je croyais avoir trouvé le cliché parfait : malgré (ou justement à cause) du jour de repos, une armada de rouleaux compresseurs étaient en train de patiner une couche fraîchement posée, encore fumante du ventre de sa machine. Dans l'autre sens s'agglutinaient les véhicules forcés à se croiser sur la même voie. Alors que je choisissais le meilleur angle pour présenter la puissance de la technologie autoroutière en regard des déboires de la vie kaboulie quotidienne, un soldat afghan équipé en commando (casque, gilet pare-balles, lunettes de vision nocturne, armes de calibres variés et tutti quanti) s'est approché de moi pour signifier qu'il était interdit de prendre des photos. Je m'avisai alors que j'étais justement devant le mur fortifié d'une administration publique, et obtempérai à son injonction.

Pas grave, me dis-je, j'avais répéré sur mon chemin un autre point intéressant, celui où l'ardeur des ingénieurs de travaux publics avait laissé intact le tombeau du saint révéré dans le quartier où j'habite. La rue porte son nom : sarak-é Shahid, rue du Martyr. Les véhicules contournent soigneusement le mausolée traditionnel, où sont toujours déposées des offrandes propitiatoires, et où parfois se prosterne un dévot en quête de rédemption.

Las ! A peine avais-je fait trois clichés qu'un policier s'est approché de moi en poussant sa bicyclette - celui-là même, me semble-t-il, qui s'est incrusté sur l'instantané. Ce que je photographiais avec tant d'insistance, disait-il, se situait juste en face d'un autre bâtiment public, dont le mitraillage (photo) intempestif pouvait être le repérage pour une prochaine attaque terroriste ! Effectivement, caché derrière les arbres, se trouve le siège de la compagnie aérienne nationale... que je n'avais pas remarqué. L'agent pointilleux insista pour visionner une à une toutes les photos stockées sur mon appareil, sous l'oeil goguenard d'un attroupement qui grossissait de minute en minute : je percevais bien que la petite foule m'était favorable, parce que je m'exprimais dans leur langue pour expliquer mon intérêt aux détails de leur environnement. J'ai heureusement réussi à freiner l'ardeur éradicatrice du fonctionnaire.

Ce qui m'a frappé dans ces incidents, c'est le très jeune âge - moins de vingt ans pour sûr - des deux agents de sécurité rencontrés, et leur empressement à appliquer des consignes manifestement calquées de celles pratiquées par leur mentors militaires américains : c'est le signe de l'inquiétude grandissante du gouvernement, sinon de la population.

2012 oct. 13

Mariage à l'afghane

Echanges de regards dans le miroir

Hervé et Nassim se sont connus il y a quelques années à Kaboul, alors qu'ils travaillaient pour le même cabinet de consulting. Depuis, ils ont monté leur propre affaire, toujours à Kaboul, et décidé de faire leur vie ensemble. Je ne les connaissais pas... jusqu'à hier soir, alors qu'ils fêtaient leur mariage chez des amis, qui sont aussi les miens. C'est chez eux que je frappe en premier quand je débarque : cela m'a valu cette fois-ci de veiller pendant plus de 36 heures d'affilée, entre avions, escales et réjouissances finales.

Ils étaient arrivés à cheval au son des tambourins, comme c'est la coutume. Le jardin était réchauffé de grands feux de bois lumineux. Les hôtes ont déroulé les rites obligés : pluie de pétales à l'entrée, négociation de la dot et du prix de la mariée, échange des regards dans le miroir, libations en commun, le tout finissant dans l'humour et la nostalgie franco-afghanes.

C'était vendredi soir, il y a plus de deux jours, déjà ! Entretemps, je n'avais pas trouvé de connexion qui me permette ce billet... Je vous embrasse !

2012 juil. 21

Ce jour là, Aftaab !

Aftaab aux Quartiers d'Eté

Passer les voir au moins une fois. Du 14 au 25 juillet, ne pas les louper. En profiter pour lever le nez. Saisir l'occasion d'une visite en ville pour flâner dans Paris, puis se laisser diriger vers le théâtre Treize sur Seine, flambant neuf, qui leur a été réservé pour les Quartiers d'Eté. Dérouler la ligne jusqu'à Bibliothèque, escalader l'acier mécanique puis arrondir l'angle du Chevaleret vers le sud. S'enquérir auprès d'un autochtone qui assènera l'évidence d'un éclat de rire.

Conforter sa destination par la présence devant la porte de celui d'entre eux qui restera Dorine pour l'éternité. Le saluer et recevoir en retour cette amicale connivence dévolue aux assidus : les Aftâb estivent à Paris, j'y suis allée, ne les ratez pas !

'Ce jour-là' est la création qu'ils ont écrite en commun il y a deux ans, qui s'est affinée comme un bon vin et qui mérite le voyage. Bravo Aftâb, on vous aime !

2012 juin 13

Hommage national

Hommage national

Quatre soldats français de plus morts en Afghanistan, c'est quatre morts de trop. Comme sont de trop les 87 morts de militaires français depuis le début de l'intervention internationale, et les centaines de blessés qui s'y ajoutent. Comme sont de trop les 1827 morts et 15460 blessés militaires américains, ou encore les victimes civiles afghanes estimées à environ 15000 morts depuis le 9 octobre 2001, date du début des opérations sur le sol afghan, sans oublier les centaines de milliers de blessés, déplacés, réfugiés ou handicapés à vie.

La guerre n'a jamais été une solution, et en particulier contre le terrorisme qu'elle ne fait qu'exacerber dans une posture nihiliste. Le territoire où vivent les populations qu'on appelle Afghans depuis la création d'un Etat en 1747 a toujours été le lieu d'affrontement d'empires qui les dépassaient. Ces menaces perpétuelles ont imbriqué leur marque sur le mode de vie des habitants, aussi féroces pour leurs adversaires qu'ils sont accueillants pour leurs amis, capables de subsister dans un dénuement extrême qui est en fait le fondement de leur survie. L'Afghanistan n'est qu'un exemple de ces lieux du monde où se joue le futur de l'humanité, sa capacité à vivre ensemble dans la solidarité et la diversité.

Le Pentagone a rendu publique le 9 juin dernier une information passée largement inaperçue : le suicide est devenu en 2012 la première cause de mortalité chez les militaires d'active américains, dépassant pour la première fois, après une augmentation régulière de sa prévalence, le nombre des morts au combat. Ceux-là aussi sont, sans doute, des morts en trop.

2012 juin 9

La fine fleur afghane à Paris

Les vice-gouverneurs afghans à Paris

Accompagnés de jeunes afghans bilingues qui leur servent d'interprètes, cela fait quatre semaines qu'une sélection de vice-gouverneurs de différentes provinces de l'Afghanistan écument les préfectures françaises pour y bénéficier d'un transfert de compétences très apprécié. L'opération a été montée par l'ambassade à Kaboul, et je tenais à venir saluer ceux que je connais. Les plus attentifs de mes lecteurs auront reconnu dans le groupe le sous-gouverneur de Kapisa, déjà présent sur l'une de mes photos de groupe ;)

Raconter l'évènement demande de déployer toute la palette des impressions caractéristiques d'une histoire afghane. La plupart d'entre eux n'avaient jamais encore visité l'occident, et s'habituèrent difficilement à l'environnement : régime hyper light pour certains qui se méfient de la cuisine locale ; scènes de colonie de vacances dans le métro ; disparitions inopinées pour cause de shopping compulsif ou même de visite à un parent habitant l'un quelconque des autres pays de l'Europe ; séances d'explication des coutumes indigènes : "on dit merci au vendeur !" ou encore : "ici, on peut marcher dans la rue sans danger !" ...cette dernière incitation en réponse à une exigence somme toute très ordinaire pour un haut fonctionnaire afghan, à savoir qu'une voiture blindée avec gardes armés les transporte d'un point à un autre.

C'est d'ailleurs eux, ce matin alors que j'arrivais à leur hôtel, qui m'ont appris la tragédie survenue aujourd'hui à Nijrab, où quatre militaires français ont été tués et cinq autres blessés, ainsi que trois civils afghans, alors qu'un jeune garçon - d'aucuns disent une personne cachée sous une burqa - s'est fait exploser au beau milieu du marché de Sherwani Bala. Leurs condoléances, répondant à celles que je venais apporter pour une attaque similaire qui avait provoqué la mort de cinq policiers afghans trois jours plus tôt à Tagab, exprimaient du fond du coeur l'immense désespoir accompagné d'horreur qui saisit les familiers de l'Afghanistan quand surviennent ces attentats. Mais eux comme moi savons bien qu'il n'y a d'autre issue que de continuer à faire ce que l'on fait, du mieux que l'on peut.

Ils m'ont donc assurée que je serai la bienvenue dans chacune de leurs provinces à l'occasion de mon prochain séjour en Afghanistan. Et je les ai regardés embarquer avec détermination dans le bus qui les emmenait à l'aéroport pour le vol du retour, avec leurs bagages excédentaires de tous les cadeaux qu'ils rapportent à leurs familles.

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