2006 sept. 23
Transit par Dubai
14:33 - Par Gauhar - Saison 3 - Lien permanent
Pour l'occidental moyen, Dubai, c'est un émir qui table sur la société
libérale : il fournit à ses rares sujets des services publics bien
charpentés, et par ailleurs anticipe sur la disparition prévisible de sa
portion congrue du champ pétrolifère en développant des services de tourisme
pour jet setters pressés. En effet, son aéroport se trouve à l'interconnection
de la plupart des routes aériennes. Dubai, c'est l'île artificielle en former
de palmier... c'est la piste de ski en plein désert... c'est la boutique 'duty
free' ouverte 24h sur 24, grouillant de monde toute la nuit, car hotesses et
vendeurs sont prêts à délester les nombreux passagers qui doivent passer dans
l'aéroport, comme moi, quelques heures en attente de leur vol vers
l'Est.
Il faisait donc déjà nuit quand mon avion avait atterri à Dubai.
J'avais pour consigne d'obtenir dès l'arrivée au terminal un billet
aller-retour Dubai/Kaboul, payable avec les billets verts que l'on m'avait
délivrés au départ de Paris. "Tu ne dois surtout pas sortir de la zone de
transit... le bureau d'achat des billets se trouve tout de suite à l'entrée
dans le terminal". En fait, l'aéroport de Dubai est un très curieux mélange des
caractéristiques de ceux de Paris (par exemple) et de Kaboul (à l'autre bout).
Ainsi, on trouve à Dubai deux terminaux, l'ancien desservant les vols vers
l'Est et le nouveau les vols vers l'Ouest, une dichotomie qui renforce la
différenciation. Au terminal 1 (vers l'Ouest), les trois étages d'escaliers
mécaniques suivis de kilomètres de tapis roulants ; les annonces
sussurantes pour les vols en partance ; la connexion internet à 6 dollars
de l'heure ; les portes d'embarquements cachées derrière les alignements
de boutiques de luxe ; le tout illuminé de magnifiques fausses torches à
huile, dont la flamme est un effet spécial électronique. Au terminal 2, les
passagers pressés dans une salle à peine éclairée et les employés exténués qui
appellent les vols à pleins poumons. Entre les deux, une navette gratuite, dont
l'on peut facilement ignorer l'existence, pour peu que l'on suive le flot des
passagers vers la zone de récupération des bagages, où l'on est ensuite poussé
vers le contrôle des passeports. Mes collègues qui ont fait le trajet quelques
jours avant s'y sont laissé prendre, et ont dû prendre un taxi entre les deux
terminaux avec leurs sacs.
J'ai pu quant à moi acheter mon billet au lieu dit, où l'on m'a assuré qu'
"aucun bagage ne se perd à Dubai, Madame. Ils vous suivront automatiquement.".
J'ai donc flané entre les boutiques, acheté le flacon de parfum qui m'avait été
interdit à Paris ou à Londres pour cause de sécurité, dépensé 8 dollars
d'internet pour me faire déconnecter avant de pouvoir enregistrer le billet que
j'avais préparé pour ce blog, et pris le bus à trois heures du matin vers le
terminal 2, en attente de mon vol Dubai/Kaboul. Et donc, qu'est-ce qui fait
ressembler l'aéroport de Dubai à celui de Kaboul ? C'est la pléthore de
fonctionnaires plantés là pour embellir le décor, et dont la seule compétence
semble être de renvoyer le passager à l'étape précédente de son
périple.
En vol, le soleil levant a renouvelé sous mes yeux la magie de ses jeux
d'ombre : la mer d'Oman, les dunes du Séistan ont fait place aux montagnes
de l'Ourouzgan, le tout franchi en deux heures avant la vrille dans la cuvette
kaboulie. Dès l'atterrissage, j'ai compris pourtant que mon voyage était loin
d'être terminé : pas trace de mes bagages sur le poussif tapis de la salle
d'arrivée.
J'avais eu un doute à Roissy. Alors que j'étais disposée à acquitter un
supplément, l'hôtesse de British Airways avait enregistré sans sourciller les
quelque trente kilos que représentaient ma valise et mon sac à dos, insistant
même pour que j'y ajoute le sac que j'avais prévu de garder à la main, par
sécurité... Je me suis dit que la compagnie faisait un geste commercial à
l'égard des passagers qui considéraient Londres comme un écueil depuis les
dernières alertes. Mon soupçon s'est confirmé à l'atterrissage à
Heathrow : l'avion a dû attendre plus d'une heure sur les pistes, moteurs
tournants, avant de trouver place à une porte de débarquement, occupées
qu'elles étaient par d'autres vols empêtrés dans les procédures de sécurité. Le
délai d'une heure et demie initialement prévu pour mon transit à Londres s'est
transformé en un quart d'heure... et il est fort probable que c'est là qu'a
commencé à s'enrayer le suivi des bagages.
Arrivée donc lundi dernier à Kaboul, chers amis, c'est aujourd'hui
seulement, cinq jours plus tard, que je récupère le dernier de mes bagages,
celui qui contenait... mon ordinateur portable (dont je vous écris maintenant,
après avoir péniblement envoyé quelques messages annonçant mon arrivée depuis
les claviers qwerty et poussiéreux des ordis de l'asso). Il m'a fallu chaque
jour passer à l'aéroport pour m'enquérir auprès du responsable des bagages qui
avait dûment enregistré ma réclamation. Au bout de trois jours, il
m'accueillait comme une amie pour me remettre les deux premiers colis.
Aujourd'hui, je l'ai trouvé quasiment assis sur mon sac à dos, dans le
container où s'empilent les objets en souffrance où il célébrait en cachette le
début du ramadan en mangeant quelques abricots secs. Il m'a carrément fait de
discrètes avances, comme pour se faire payer de l'aboutissement de ses
efforts.
Cela a rajouté à ma bonne humeur retrouvée.