2006 déc. 22
Chronique théâtrale
08:56 - Par Gauhar - Saison 3 - Lien permanent
Aftâb, c'est le Soleil, comme la compagnie théâtrale d'Ariane Mnouchkine à la
Cartoucherie de Vincennes. On sait (si l'on suit l'actualité culturelle)
qu'Ariane a monté un 'Caravansérail' qui relatait les espoirs et déceptions des
jeunes et des familles qui partent de leurs régions devenues
inhabitables...
... pour chercher en Occident une vie meilleure. On sait peut-être (si l'on
est dans la confidence comme PL qui l'a connu au lycée) qu'Ariane a adopté un
jeune Afghan. Mais on sait beaucoup moins (quand on est étranger à la chronique
afghane) qu'Ariane a créé et lancé à Kaboul une troupe d'acteurs afghans qui
décline le répertoire classique en traduction persane. Ce tropisme afghan
d'Ariane Mnouchkine est inscrit dans son prénom...
Samedi dernier, la compagnie Aftâb reprenait au centre culturel français le
Tartuffe de Molière qu'ils avaient monté en septembre à l'occasion d'un
festival. J'en avais entendu parler dès le jour de mon arrivée. Aussi je n'ai
pas manqué cette occasion de me rendre compte par moi-même. Molière aurait été
heureux ! Dans un décor dépouillé comme un intérieur afghan, les
personnages sont définis par une subtile adaptation des codes de la scène du
grand siècle : redingote et gilet pour Orgon, mais il chausse pieds nus
ses sandales ; chemise et jupe à frous-frous pour Elmire, mais respect
rigoureux de la pudeur locale (voile de broderie noué sur les cheveux, encolure
fermée et pantalon de coton blanc sous la jupe). Comme c'était souvent le cas
chez Shapespeare plutôt même que chez Molière, la plupart des rôles féminins
sont tenus par des garçons. C'est qu'il est bien difficile encore de trouver en
Afghanistan des jeunes femmes suffisamment motivées pour braver le rigorisme
hérité de la guerre. Et le baiser final de Mariane et de son amoureux est
symbolisé par un discret tête-à-tête des deux garçons sous le voile du
personnage féminin.
L'esprit de la farce était bien présent. Dans la turbulence des jeunes
cherchant à déjouer la pesanteur de la tradition pour trouver à s'amuser. Dans
l'énergie impuissante dépensée par ceux qui défendent cette tradition. Dans les
mièvreries de Tartuffe, attifé des oripeaux de l'inquisition du Moyen-Age
chrétien. Dans la vigoureuse truculence d'Orgon qui réalise ce qui se cache
derrière tant de bigoterie.
Nous étions venus à la représentation avec quelques membres de notre staff afghan, qui s'esclaffèrent autant que nous, et aux mêmes endroits. Et leurs conversations à déjeuner, le lendemain, dérivèrent tout doucement vers la tartufferie du personnel politique local. Le message anticlérical de Molière, porté par une Dorine pleine de bon sens et d'humanité (dont le rôle était tenu par un jeune homme poupin au jeu précis et subtil), était bien passé. Bravo et merci, Aftâb !