2007 avr. 14

Saison 4 - Colère, inconscience ou détermination ?

Contemplation

Sans transition, après quinze jours parisiens qui furent les premiers de vrai hiver, m'a-t-on dit, je suis passée à l'été afghan. Les arbres sont tout juste ornés de quelques feuilles vert tendre que le soleil s'est mis au fixe. Les fins de journées plafonnent maintenant autour de 30 degrés...

...et les nuits ne descendent plus au-dessous de quinze. Autour de la rivière, grosse des fontes de neige, des quartiers sont encore inondés par les reliquats des pluies torrentielles qui ont annoncé le printemps, il y a trois semaines à peine. Et, ô bienfait de l'abondance des eaux qui remplissent maintenant les barrages, nous avons de l'électricité tout le temps, sans le rugissement permanent du générateur.

Ce matin, vendredi, je pensais récupérer mon comptant de sommeil après les festivités du jeudi. A sept heures hier soir, Palwasha etait passée me chercher pour assister au mariage d'une de ses amies, députée du Nangarhar, sa province d'origine. Habillée de mes vêtements les plus kitchs (une robe à fleur sur un pantalon de soie, avec une veste en tissu moiré, le tout assorti d'une écharpe de soie hératie, cadeau de Palwasha), j'ai été poussée comme les autres femmes sur la piste de danse où, paraît-il, les aieules des deux familles repèrent de futures épouses pour leurs petits-fils. Ces démonstrations sont strictement unisexes, bien sûr. Les hommes - et donc aussi Kabir, le mari de Palwasha - dansaient entre eux dans une autre salle de l'immense immeuble de banquets. Palwasha et ses copines étaient parées comme des arbres de noël, avec des couches de maquillage dignes d'un plateau de cinéma. Et l'ensemble de la fête était enregistré en vidéo, un service compris dans la prestation de mariage. Nous avons aussi eu droit aux photos posées avec le nouveau couple, affichant l'air sérieux de circonstance imposé surtout à la nouvelle mariée qui doit se montrer triste de quitter sa famille.

Une fois raccompagnée dans mes foyers, vers onze heures, je me suis changée pour satisfaire à l'autre occasion de la soirée : la fête de départ de Céline, notre co-locataire depuis un an. Ambiance expat'. J'ai dansé aussi, dépensant là beaucoup plus d'énergie que sur le tapis afghan. Mais j'ai déclaré forfait bien avant le gros des invités, qui sont restés jusqu'au petit matin à écluser les boissons abondamment disponibles pour défouler par l'excentricité les frustrations du déséquilibre des sexes dans la communauté des travailleurs internationaux.

Et ce matin donc, alors que je venais juste d'entendre rentrer les couche-tard, le minaret de la mosquée toute proche s'est mis à hurler des musiques sacrées et des litanies soufies. J'ai réalisé qu'hier aussi, toute la journée, nos oreilles avaient été assourdies par ces clameurs. J'apprends qu'il s'agit de lamentations de deuil, en l'honneur d'Adjmal Naqshbandi, le jeune journaliste afghan qui vient d'être égorgé par les talibans, alors que son collègue le journaliste italien avait été libéré à l'aboutissement de négociations. Adjmal habitait notre quartier. Ici donc, le deuil est public, mais c'est l'ensemble de l'Afghanistan qui est révulsé par le drame. Les sentiments ambigüs à l'égard des talibans sont passés à la colère. Et le gouvernement afghan est inclu dans le ressentiment populaire, pour n'avoir pas su protéger un citoyen, alors que les étrangers s'en sortent.

Commentaires

1

Salut,

Toutes ces "festivités" tranchent avec la situation plus que précaire, la violence et les meurtres des talibans que tu décris. Mais rien de choquant bien sur mais est-ce un exutoire?

Le dimanche 20 mai 2007, 00:18 par Thomas

2

Exutoire, non... Pour les Afghans, qui approchent les quelques trente années de guerre, c'est la vie qui continue, malgré les combats, malgré les atrocités, malgré les difficultés de tous les jours. Les Afghans se marient, oui... et ils ont une des populations les plus jeunes du monde.
Pour les expatriés, je dirais plutôt qu'il s'agit d'une grande capacité à s'enfermer dans une bulle, pour éviter de se sentir submergé par les contradictions quasi-insurmontables mais inhérentes aux missions humanitaires. En ce qui me concerne, j'essaie de garder les yeux grands ouverts, et de rester sensible aux dynamiques des uns et des autres.
Palwasha, mon amie afghane, s'inquiète chaque jour pour la vie des ses quatre enfants... Son mari passe son temps à faire des plans pour émigrer avec sa famille... Mais elle continue à travailler avec toute son énergie, comme elle l'a fait depuis toujours, y compris pendant la période des talibans.
A bientôt, je vous embrasse tous.

Le dimanche 20 mai 2007, 05:54 par Gauhar (réponse à Thomas :-)

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