2011 déc. 8
Sur le fil du rasoir...
12:47 - Par Gauhar - Saison 6 - Lien permanent
... visite aux fonctionnaires du district de Nijrab...
Dans les frimas du
petit matin, sous l'ombrelle vigilante des POMLTs (Police Operational
Mentor and Liaison Team), nous avons encore hier rendu visite aux
fonctionnaires du district de Nijrab, dans le petit village accroché à la
montagne dont j'avais par deux fois déjà découvert les paysages magnifiques et
les gens chaleureux. Ce sera pour moi la dernière excursion sur le terrain en
compagnie des militaires.
Rien n'a changé. Quand le convoi de véhicules blindés a traversé le bazar pour
s'engager sur le sentier qui mène au centre administratif, les habitants ont
alerté les autorités. A notre descente des véhicules, il y a déjà une rangée
d'hommes aux visages ouverts, derrière lesquels se cachent quelques enfants
curieux. Cela fait plusieurs mois que le village n'a pas reçu de visite des
Français. Ils sont ravis qu'on s'inquiète de leurs besoins !
Ce qui est différent, c'est l'état d'esprit des militaires qui arrivent. Il y a
un an, à la première visite de l'équipe civile dont je fais partie, il
s'agissait d'établir des relations de coopération et de confiance avec les
autorités locales. L'ordre du jour était donné par les civils, le tempo adapté
au rythme des activités communales. Une visite pouvait se monter en
quarante-huit heures en fonction des circonstances.
Maintenant, si le mot d'ordre politique est "transition", le mot d'ordre
opérationnel est "zéro problème". Il n'y a plus d'objectifs, le souci principal
des militaires est d'attendre la relève en se conformant aux strictes consignes
de sécurité, dont l'application devient prépondérante à toute autre
considération. Toute la hiérarchie est jugée à ce seul critère. Des officiers
supérieurs ou subalternes ont été limogés pour défaut à la sécurité, ou aux
consignes qui sont supposées y présider. La tension est palpable. Et
d'ailleurs, les vrais civils comme moi ont été déportés sur Kaboul, seuls
restent à Nijrab en permanence des civils issus et formés par le monde
militaire, missionnés pour répondre à ses exigences, et un chef diplomate dont
les consignes viennent du plus haut sommet de l'Etat.
En conséquence il est de plus en plus difficile d'aller sur le terrain.
L'équipe civile est devenue un alibi, une sorte d'étendard agité pour démontrer
la réalité des actions de développement et de gouvernance, alors que les
contacts avec les autorités locales ont été rompus. Ce que j'avais compris de
ma mission était pourtant d'apporter sur le terrain tenu par les forces armées
françaises un point de vue civil, nécessaire à la transition. Le symbole et le
rappel de certains principes fondamentaux de respect des individus. Le vecteur
de méthodes fondées sur l'interaction et la confiance rendue possible par les
actions de pacification accomplies par les militaires. Un rôle de facilitateur,
de mise en évidence des intérêts communs à une coopération au bénéfice de la
population. Pour que cet argumentaire soit compris et accepté par les
fonctionnaires locaux, il convenait de se présenter à eux le plus directement
possible pour encourager la confiance, et en particulier sans protection
corporelle (casque ou gilet pare-balle), même si l'on ne pouvait s'en départir
pendant les trajets.
Hier, ma perception de la situation s'est heurtée à celle des officiers qui
organisaient le déplacement : j'ai osé revendiquer de sortir du VAB et me
présenter sans casque devant mes interlocuteurs, parce c'est ainsi qu'ils
m'avaient toujours vue. Je ne voulais pas rompre cette image, donner le message
d'une défiance nouvelle alors que je travaille depuis dix-huit mois à un
programme de justice locale et de réconciliation. Dans les discussions qui ont
suivi, j'ai cru sentir ma chair se recroqueviller comme si l'on me
lapidait : Comment ? Je prenais le risque d'être blessée par un éclat
(je sentais se creuser sous mes pieds le gouffre de la sécurité sociale...)? Je
manquais de respect au chef du détachement et à toute la hiérarchie en énonçant
mes raisons ? Je mettais en danger l'équilibre des relations entre
l'équipe civile et les militaires ? Bon, j'ai compris, si je veux sortir à
l'avenir, ce sera avec ma burqa. Et d'ailleurs, tout bien pesé, je ne sortirai
plus, on est tellement bien chez soi.
L'heure n'est plus à la confiance, elle est à l'efficacité sécuritaire. Nous
sommes tous des femmes afghanes.
Commentaires
comment rendre une fin de conflit parfaite au détriment d'un contact humain de proximité nécessaire......... écœurant.
tu dis : "je sentais se creuser sous mes pieds le gouffre de la sécurité sociale", attention, si tu tombes, tu n'en ressortiras pas :p
Plein de courage à toi, bisous
Gauhar: Bise à toi, Did :)
Le samedi 10 décembre 2011, 18:00 par Didier