2011 déc. 8

Sur le fil du rasoir...

... visite aux fonctionnaires du district de Nijrab...

Dernière visite à Sherwani Bala

Centre administratif de Sherwani Bala, NijrabDans les frimas du petit matin, sous l'ombrelle vigilante des POMLTs (Police Operational Mentor and Liaison Team), nous avons encore hier rendu visite aux fonctionnaires du district de Nijrab, dans le petit village accroché à la montagne dont j'avais par deux fois déjà découvert les paysages magnifiques et les gens chaleureux. Ce sera pour moi la dernière excursion sur le terrain en compagnie des militaires.

Rien n'a changé. Quand le convoi de véhicules blindés a traversé le bazar pour s'engager sur le sentier qui mène au centre administratif, les habitants ont alerté les autorités. A notre descente des véhicules, il y a déjà une rangée d'hommes aux visages ouverts, derrière lesquels se cachent quelques enfants curieux. Cela fait plusieurs mois que le village n'a pas reçu de visite des Français. Ils sont ravis qu'on s'inquiète de leurs besoins !

Ce qui est différent, c'est l'état d'esprit des militaires qui arrivent. Il y a un an, à la première visite de l'équipe civile dont je fais partie, il s'agissait d'établir des relations de coopération et de confiance avec les autorités locales. L'ordre du jour était donné par les civils, le tempo adapté au rythme des activités communales. Une visite pouvait se monter en quarante-huit heures en fonction des circonstances.

Maintenant, si le mot d'ordre politique est "transition", le mot d'ordre opérationnel est "zéro problème". Il n'y a plus d'objectifs, le souci principal des militaires est d'attendre la relève en se conformant aux strictes consignes de sécurité, dont l'application devient prépondérante à toute autre considération. Toute la hiérarchie est jugée à ce seul critère. Des officiers supérieurs ou subalternes ont été limogés pour défaut à la sécurité, ou aux consignes qui sont supposées y présider. La tension est palpable. Et d'ailleurs, les vrais civils comme moi ont été déportés sur Kaboul, seuls restent à Nijrab en permanence des civils issus et formés par le monde militaire, missionnés pour répondre à ses exigences, et un chef diplomate dont les consignes viennent du plus haut sommet de l'Etat.

En conséquence il est de plus en plus difficile d'aller sur le terrain. L'équipe civile est devenue un alibi, une sorte d'étendard agité pour démontrer la réalité des actions de développement et de gouvernance, alors que les contacts avec les autorités locales ont été rompus. Ce que j'avais compris de ma mission était pourtant d'apporter sur le terrain tenu par les forces armées françaises un point de vue civil, nécessaire à la transition. Le symbole et le rappel de certains principes fondamentaux de respect des individus. Le vecteur de méthodes fondées sur l'interaction et la confiance rendue possible par les actions de pacification accomplies par les militaires. Un rôle de facilitateur, de mise en évidence des intérêts communs à une coopération au bénéfice de la population. Pour que cet argumentaire soit compris et accepté par les fonctionnaires locaux, il convenait de se présenter à eux le plus directement possible pour encourager la confiance, et en particulier sans protection corporelle (casque ou gilet pare-balle), même si l'on ne pouvait s'en départir pendant les trajets.

Hier, ma perception de la situation s'est heurtée à celle des officiers qui organisaient le déplacement : j'ai osé revendiquer de sortir du VAB et me présenter sans casque devant mes interlocuteurs, parce c'est ainsi qu'ils m'avaient toujours vue. Je ne voulais pas rompre cette image, donner le message d'une défiance nouvelle alors que je travaille depuis dix-huit mois à un programme de justice locale et de réconciliation. Dans les discussions qui ont suivi, j'ai cru sentir ma chair se recroqueviller comme si l'on me lapidait : Comment ? Je prenais le risque d'être blessée par un éclat (je sentais se creuser sous mes pieds le gouffre de la sécurité sociale...)? Je manquais de respect au chef du détachement et à toute la hiérarchie en énonçant mes raisons ? Je mettais en danger l'équilibre des relations entre l'équipe civile et les militaires ? Bon, j'ai compris, si je veux sortir à l'avenir, ce sera avec ma burqa. Et d'ailleurs, tout bien pesé, je ne sortirai plus, on est tellement bien chez soi.

L'heure n'est plus à la confiance, elle est à l'efficacité sécuritaire. Nous sommes tous des femmes afghanes.

Dernière visite à Sherwani Bala

Commentaires

1

comment rendre une fin de conflit parfaite au détriment d'un contact humain de proximité nécessaire......... écœurant.
tu dis : "je sentais se creuser sous mes pieds le gouffre de la sécurité sociale", attention, si tu tombes, tu n'en ressortiras pas :p
Plein de courage à toi, bisous

Gauhar: Bise à toi, Did :)

Le samedi 10 décembre 2011, 18:00 par Didier

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