2016 mai 15
Climat d'insurrection ?
11:55 - Par Gauhar - Saison 13 - Lien permanent
Déjà il y a quelques jours j'évoquais le trépidant instinct de vengeance qui
possède les rues kaboulies. Ces derniers temps, cette humeur a été entretenue
par l'annonce que l'analyse des corps de deux des kamikazes de l'attaque contre
les services de sécurité il y a trois semaines a montré qu'il s'agissait
d'anciens captifs talibans, qui avaient été libérés par l'administration Karzaï
à l'occasion de précédentes négociations de paix... Comme des gouttes d'eau
versées sur de l'huile bouillante, le président Ghani n'a pas manqué ensuite de
refuser les demandes de grâce concernant certains insurgés actuellement
prisonniers, et a fait exécuter récemment une vingtaine d'entre eux. Les
talibans ont aussitôt proclamé une vengeance inextinguible... L'engrenage de la
violence fonctionne bien.
Pour chauffer un peu plus les rues, Ghani est aux prises avec un soupçon de
reniement de promesses de campagne concernant le tracé TUTAP, comprendre de la
nouvelle ligne de transport d'électricité depuis le Tadjikistan vers
l'Ouzbekistan, le Turkmenistan, l'Afghanistan et le Pakistan... Le soutien de
la communauté hazara au Président était fondé sur l'idée que cette ligne
traverserait la province de Bamyan, ce qui aurait généré de nombreux emplois au
moment de la construction, outre les retombées économiques de l'adduction
elle-même. C'est sur un argument financier que se fonde le gouvernement actuel
pour déclarer d'utilité nationale un tracé passant par le col du Salang. Les
soupapes pètent les unes après les autres. Il y a trois jours, le président
Ghani se faisait malmener en public à Londres par des manifestatns le traitant
de menteur. Et demain est prévue à Kaboul une manifestation monstre, qui
pourrait rassembler cinq cent mille personnes, dit-on, si tout le Hazarajat
descend à la capitale...
Aujourd'hui, à l'occasion d'un déplacement vers l'Ambassade pour faire le point
sur ma mission qui tire à sa fin, j'ai eu un aperçu de la tension ambiante. A
mon habitude, j'ai utilisé les services d'une compagnie de taxis qui me connaît
bien, Zohak. Ils sont cinq frères à avoir monté l'affaire, qui comptait plus
d'une quinzaine de chauffeurs salariés il y a cinq ans. Aujourd'hui, seuls les
frères sont encore occupés à prendre les courses de leurs fidèles
clients : les autres sont trop risqués. Le trajet dure dix minutes à peine
de chez moi jusqu'à l'ambassade, sur les grandes artères du centre. Au dernier
carrefour avant la zone verte, il y avait un barrage de police occupé à filtrer
les véhicules se dirigeant vers ce quartier exposé. Les fonctionnaires ont fait
ranger notre voiture sur le côté - ce qui ne m'était jamais arrivé - puis ont
demandé au chauffeur ses papiers. Et la discussion a commencé à s'envenimer, le
taxi montrant sa licence, prenant à témoin sa passagère... J'ai alors
simultanément compris deux choses : d'une part que les policiers en
faction exigeaient de garder les papiers du véhicule et du chauffeur en
attendant son retour après m'avoir déposée ; et d'autre part que ce qui
exaspérait mon chauffeur c'est que, manifestement, cette exigence se faisait "à
la tête du client", parce que lui comme ses frères sont... des Hazaras !
J'ai comme l'impression qu'il ne suffira pas de quelques pochoirs prônant la
réconciliation pour apaiser les esprits... ni non plus pour décourager
l'émigration clandestine des jeunes à l'esprit d'entreprise ! Et si la
coupe de cheveux était réellement un indice, on pourrait s'inquiéter du nombre
de chevelus hirsutes qui hantent maintenant les rues kaboulies : "ceux qui
veulent se donner un look de bad boy, comme les talibans !" m'affirme
un ami !