2007 mar. 3
Ville de contrastes
17:59 - Par Gauhar - Saison 3 - Lien permanent
A côté de quartiers ruinés par les bombardements, il y en a d'autres à Kaboul qui sont promis à la démolition par les urbanistes ou les promoteurs. Ainsi non loin de l'aéroport, sous le sommeil nonchalant du vieux de la montagne, ce nouvel ensemble aux lignes étranges se dresse maintenant au milieu de terrains nus comme la main...
... Les toîts sont inclinés pour que la neige s'en déverse sans peine. La
construction armée anti-sismique y remplace le torchis, qui n'aurait de toutes
façons pas permis cet incroyable empilement de six étages. On imagine que
l'électricité y sera disponible vingt quatre heures sur vingt quatre (par les
bonheurs d'une solide accointance au ministère de l'énergie ou grâce à un bon
vieux générateur) pour alimenter les ascenseurs. Qui habitera cette
bizarrerie ? Probablement encore des voyageurs fortunés, car quoi d'autre
qu'un hôtel de luxe pourrait se manifester aussi distinctement au pays du pavot
et de la burqa ?
Autre bizarrerie qui n'a rien à voir... encore que ! Dès le début de ce
nouveau séjour, soit depuis septembre dernier, j'entends régulièrement affirmer
que les jours de Karzai sont comptés parce que le ressentiment de la population
contre les forces internationales augmente à chaque bavure, parce que la misère
de beaucoup côtoie les facilités et les libertés de certains, parce que chaque
ethnie ou chaque groupe d'influence se targue d'être capable de mieux faire
usage de l'aide internationale, ce qui revient à se plaindre de ne pas assez en
bénéficier. Outre les diatribes véhémentes que lance l'ancien ministre du Plan
Bachardoust à l'encontre du 'gouvernement corrompu soutenu par les ONGs', nous
avons eu droit il y a deux semaines à une grande manifestation des chefs de
guerre (qui justement ne veulent pas qu'on les catalogue ainsi) pour proclamer
la justesse de la loi d'amnistie qui, si elle est avalisée par Karzai, leur
assure l'impunité contre quiconque chercherait à obtenir réparation des
nombreux crimes et atrocités commis durant les trente dernières années. Ils ont
fait crier 'à bas les droits de l'homme' à leurs partisans convaincus que
'quiconque est contre les moudjahiddin est contre l'islam'. Ils ont écarté d'un
moulinet de kalachnikov les affirmations des oulamas qui soutiennent qu'en
islam nul autre que la victime ne peut pardonner un crime.
Et donc Karzai est pris entre le marteau des moudjahiddin et l'enclume de
l'opinion internationale. Que cette loi d'amnistie ait été présentée au
parlement juste avant l'offensive de printemps des talibans est peut-être sans
rapport. Que le ministre de l'énergie, dirigé par l'un des moudjahiddin les
plus notoires, ait alors justement trouvé de quoi approvisionner en électricité
les habitants de Kaboul est assez judicieux, quoique peut-être fortuit. Que le
vice-président américain Dick Cheney de passage à Kaboul y ait été accueilli
par un attentat suicide dévastateur témoigne en tous cas de l'excellente
coordination des 'factions opposées à la volonté du peuple afghan'.
Hier soir, alors que je terminais un petit travail sur internet entre dix et
onze heures, Ehsan est entré dans le bureau pour avertir : "Demain,
personne ne sort ! Consigne de sécurité." Sans vouloir nous en dire plus.
Ce matin samedi, jour habituel de congé et donc de nos sorties en ville, la
ville s'est réveillée sous plus de dix centimètres de neige fraîche... pour la
cinq ou sixième fois depuis le début de l'hiver. Dans ce grand calme blanc et
gelé, Ehsan est sorti aux nouvelles. Il est revenu deux heures plus tard, un
rien dépité que sa consigne ait ainsi pris un coup de froid. Il semble que les
conspirateurs de tous poils aient remis à plus tard leur embrasement.
La semaine prochaine, la météo prévoit un réchauffement. Le printemps arrive.
Commentaires
On aime toujours te lire. Nous qui ne connaissons pas ce pays, nous y sommes grâce à toi. Porte-toi bien. On t'embrasse. yves & sophie
Le samedi 3 mars 2007, 20:24 par yves