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2018 sept. 30
Aquarius
Par Gauhar - Migrations
2018 mar. 26
Par Gauhar - Migrations
Ce sont huit garçons venus du sud du Sahel à travers la Méditerranée qui ont
été accueillis cet hiver par notre groupe de bénévoles. Comme nos amis
pachtouns l'année dernière, c'est le hasard des répartitions administratives
qui les avait fait atterrir chez nous, comme des oiseaux égarés dans un monde
étrange. Ils ont survécu aux dangers de la traversée, sauvés parfois in
extremis par de courageux équipages.
Chez nous, ils ont commencé à recevoir l'attention, les soins et l'affection
qui leur ont fait défaut depuis qu'ils ont tout quitté, au Soudan ou au Tchad.
Depuis leur arrivée il y a six mois, certains avaient connu le meilleur - un
dossier régularisé - ou le pire - un grave accident invalidant, ou encore une
relocalisation au hasard de l'ouverture de centres officiels d'accueil.
Aujourd'hui, c'est le départ des quatre derniers, dont la situation
administrative ne prête pas à l'optimisme. Ils sont devenus nos proches, mais
l'administration ignore les liens d'amitiés. Nous sommes tristes, honteux,
indignés. Bon courage à vous tous !
2017 mai 31
Par Gauhar - Migrations
Voici ma photo la plus proche du carrefour où a eu lieu ce matin l'attentat
suicide qui a fait plus d'une centaine de morts à Kaboul, à proximité de
l'ambassade de France... et du lycée Amani financé par la coopération
allemande ! La photo date d'octobre 2012. On peut craindre que de nombreux
enfants fassent partie des victimes. Et voilà ce que j'écrivais à la même
époque à propos de ce carrefour :
"Il y a à Kaboul une kyrielle de carrefours symbolisant les ruptures
tribalo-traditionalistes, qui supportent l’essentiel des tensions. Ce sont des
lieux d’insécurité structurelle parce qu’y sont postés des points de contrôle
militarisés, destinés à protéger les occupants d’un des côtés de la barrière
contre les occupants de l’autre côté. C’est sur ces endroits que se concentrent
les risques d’attentat suicide ou autre incident de sécurité. Le chauffeur ou
le piéton le plus nonchalant ne peut se défaire d’un sentiment d’urgence en
franchissant l’un de ces contrôles. L’un d’eux est Tchahâr-râh-é Zanbaq à
l’entrée de la ‘zone verte’, la zone ‘sécurisée’ qui abrite le palais
présidentiel et un certain nombre d’ambassades, celles des Etats-Unis et de
France notamment. Tchahâr-râh-é Zanbaq est l’endroit que doivent franchir à
pied les visiteurs de l’ambassade de France qui ne disposent pas d’un véhicule
muni d’une habilitation de sécurité. Depuis dix ans avec la détérioration des
conditions de sécurité, les conditions d’habilitation des véhicules se sont
faites de plus en plus restrictives. Le nombre de personnes obligées de
franchir à pied la centaine de mètres séparant le point de contrôle de l’entrée
de l’ambassade de France a augmenté en rapport. Il n’est pas possible aux
véhicules, par manque de place mais aussi par souci de prévention contre les
attentats à la voiture piégée, de se garer à proximité du point de contrôle. Et
par ailleurs, les artères le desservant sont embouteillées en raison des
contrôles, ce qui rend aléatoire le moment potentiel du passage d’un véhicule
pour le ramassage."
Anthropologie de l'égalité sur une fracture du système-monde, p. 230,
Editions de l'Harmattan, 2015
Déjà le marionnettiste qui tient lieu de président américain parle d'augmenter
les forces internationales en Afghanistan. C'est le contraire de la solution.
La vraie solution passe par le désamorçage du cycle de la vengeance en
engageant un vaste programme international civil de solidarité à la personne,
un revenu universel destiné à inverser la spirale d'insécurité et de violence
qui sape tout effort de coopération. Marc Zuckeberg, patron auto-enrichi de
Facebook, met justement
l'emphase sur la responsabilité des nantis dans la recherche de solutions.
Au niveau français, Benoît Hamon a construit un programme présidentiel autour
de ce constat. Ce sont de bonnes idées, elles exigent néanmoins, pour être
efficaces, de se développer à destination des vrais démunis, les populations
qui vivent sur les zones d'affrontement des empires.
2017 avr. 26
Par Gauhar - Migrations
L'amertume sourdait dans la tristesse, ce matin sous le soleil piquant, quand
les Noirmoutrins ont assisté impuissants au départ de leurs "gars" vers un
nouveau lieu d'accueil. Ces huit jeunes gens afghans et pakistanais avaient
débarqué à l'automne dernier, transportés en car par l'administration française
depuis Calais vers un point de chute choisi au hasard parmi ceux disséminés
partout en France, sans cohérence globale autre que le volontariat local. A
l'initiative de sa Maire, la commune de la Guérinière en avait été. Tout un
groupe de bénévoles de l'Île s'était alors mobilisé pour rendre leur séjour
agréable à ces déracinés, démunis de tout et loin de leurs familles souvent
quittées depuis plus d'un an dans l'angoisse et la précipitation. On savait que
c'était provisoire, les logements devant être libérés avant l'été pour revenir
à leur destination habituelle, l'hébergement de gendarmes saisonniers. Mais les
services centraux avaient assuré que ce laps de temps serait suffisant à
clarifier les dossiers officiels dans la perspective d'une intégration.
En presque six mois donc, des liens forts se sont noués avec ces jeunes
migrants forcés. Pour égayer leur état d'esprit indexé sur le tracas des
demandes d'asile, l'équipe d'accueil - bénévoles et travailleurs sociaux - a
animé tout un programme d'activités linguistiques, culturelles et sportives et
de suivi sanitaire. Le caractère de chacun d'entre eux, le traumatisme qui l'a
mené sur les chemins de l'exil, ses aspirations à un avenir meilleur restaient
pourtant l'objet des inquiétudes de la petite communauté qui s'est organisée
autour d'eux. Alors, quand se sont succédées les annonces de rejet de chacun
des dossiers, quand les arcanes des procédures se sont faites de plus en plus
incompréhensibles sinon carrément injustes, l'humeur générale s'est détèriorée,
chez les hôtes comme chez les invités.
Aujourd'hui, alors que les larmes coulaient sans retenue dans les embrassades
de la séparation, les commentaires fusaient : "Pourquoi détruit-on une
intégration qui se passait si bien ? C'est comme si quelqu'un cherchait à
les regrouper pour pouvoir plus facilement les expulser le moment venu !" On se
demande alors s'il ne serait pas opportun de porter la question au niveau
politique national... Garantir le droit d'asile et en appliquer généreusement
les dispositions ne serait-il pas un engagement qui pourrait faire la
différence dans la course à la présidentielle française ?
Alors seulement l'antienne de la fraternité pourrait-elle se prévaloir de
mettre un pont entre la liberté et l'égalité.
2017 janv. 7
Par Gauhar - Migrations
Il y a deux ans je recevais à
Kaboul la nouvelle de l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo. Mon
émotion s'amplifiait des réactions ambiguës que les attaques parisiennes
avaient provoquées dans la société locale, un miroir presque parfait de celles
constatées en France, entre horreur, soutien à la liberté d'expression et
reflexe communautaire... comme une preuve par le vif que la question est bien
celle de la reconnaissance de notre humanité commune dans les différences,
alors que, pourtant, l'égoïsme de nos sociétés riches les rejette dans
l'opposition des cultures. L'exaspération de ces contradictions m'a menée
quelques temps après à arrêter mes activités afghanes.
Mais c'est par ces lignes de sagesse soufie (dont je ne connais pas le détail
parce qu'écrite en pachto) ou ces preuves d'esprit scientifique - trouvées un
an plus tôt sur les murs du
lycée de jeunes filles de Djallalabad, que je garde espoir dans la
réconciliation, et en tout cas dans l'inéluctable vérité que nous ne sommes que
des atomes concourrant à l'évolution de l'univers.
2016 nov. 29
Par Gauhar - Migrations
Quelle préfecture française fut instaurée en
1804 par un empereur, dessinée sous forme de pentagone, quadrillée en damier,
ornée de sa statue équestre et appelée de son nom ? Celle où se retrouvent
aujourd'hui une patrouille d'éclaireurs arrivés du carrefour des empires pour
échapper à la pression inhumaine d'intérêts exogènes en compétition sur leur
zone d'habitat. Indice utile, l'économie de ce département d'accueil est pour
une part fondée sur le filet de pêche.
Celui qui râle tout le temps pour prendre l'ascendant sur le groupe et en tirer
quelque profit, celui qui rêve face à l'océan embrassé pour la première fois,
celui qui reste cloîtré dans son désespoir fait de harcèlement communautaire et
d'éloignement familial, celui qui s'émerveille de voir sa bobine sortir du
photomaton en cinq exemplaires, celui dont les talents de cuisinier l'assignent
au rôle d'intendant pour tout le groupe, celui qui s'évertue à pointer la liste
des aliments autorisés ou non, celui dont les toux diurnes et sueurs noctures
font craindre un méchant virus... Ils se sont levés, hébétés et anxieux, au
petit matin gelé, pour prendre un bus vers les équipes du Centre d'accueil des
demandeurs d'asile. On y démêle pour eux les arcanes des nouvelles dispositions
applicables aux migrants provisoirement hébergés après le démantèlement de la
jungle de Calais. Ils ne connaissent rien à la vie d'une province
française. Entre espoir, excitation et sombre ennui, ils courent la chance ou
le risque d'un dossier dont personne ne pourra leur expliquer l'issue.
Hasard, ou destin, que je m'y sois retrouvée avec eux ? :)
2016 nov. 11
Par Gauhar - Migrations
Pourquoi dans ce blog afghan une photo de commémoration française ? Parce
que je suis tombée inopinément aujourd'hui sur cette cérémonie, au pied du
petit immeuble où sont hébergés une dizaine de jeunes migrants afghans ou
pakistanais, tout juste arrivés de Calais pour être provisoirement logés dans
notre commune pendant leurs procédures de demande d'asile. Comme une couvée
d'oisillons maladroits ils se débattent dans ce milieu nouveau et
incompréhensible, clamant leur désir de vivre et leur crainte de
l'expulsion.
Ce sont des mondes hétérogènes qui essaient de s'entendre, dans la cacophonie
globale de la politique internationale encore plus inaudible depuis l'élection
d'un nouveau président américain. L'énumération des combattants tombés au cours
des guerres du vingtième siècle saura-t-elle exorciser le présent et nous
promettre un futur ? Les Afghans pourraient bien ne pas y croire. So
long Marianne ! nous chante une dernière fois Léonard Cohen...
2016 juin 29
Par Gauhar - Saison 13
Cette figurine en céramique aurait pu se trouver dans l'une des nombreuses
boutiques de la salle de transit de l'aéroport Atatürk d'Istanbul. Mais c'est
au grand bazar que je l'ai trouvée, à l'occasion d'une escapade seule en ville
pour occuper les quelques heures d'une des nombreuses escales que j'y ai
faites. Atatürk est l'aéroport que je connais le mieux après celui de Roissy,
un des deux points de passage obligé - avec Dubaï - pour tout voyageur en
provenance de l'ouest vers Kaboul et souhaitant rester aux bons soins d'une
seule compagnie aérienne. Pour moi c'est Türkish Airlines, dont j'apprécie le
professionnalisme, la gentillesse des équipages et les saveurs des
plateaux-repas. Atatürk en est le hub. Cette compétence, associée à une
position charnière entre l'Europe et l'Asie, en fait un des aéroports les plus
fréquentés au monde. J'y ai fait de jolies rencontres, fortuites ou
programmées.
Cette situation n'a pas manqué de focaliser l'attention de ceux qui veulent
démolir le monde. Puisse l'ivresse soufie des derviches tourneurs leur
permettre de garder les pieds sur la terre humaine, celle que nous peuplons
tous ensemble dans la recherche de la vérité et de l'harmonie, n'en déplaise
aux terroristes. Puissent les chauffeurs de taxi qui suspendent ces figurines
au rétroviseur de leur voiture en recevoir et transmettre le message de
paix.
2016 mai 25
Par Gauhar - Saison 13
Comme un cadeau d'accueil et pour me mettre du baume au coeur, je trouve dans ma boîte aux lettres noirmoutrine le numéro 152 des ''Nouvelles d'Afghanistan'', avec cinq pages de recension de mon livre. Merci à l'ambassadeur Pierre Lafrance de sa lecture attentive et de ces commentaires acérés. Merci à Etienne Gille de les avoir largement mis en valeur.
2016 mai 24
Par Gauhar - Saison 13
Monuments technologiques...
Choc culturel...
...On en chérira toutes les émotions. Merci Kaboul, bonjour Nimic !
2016 mai 23
Par Gauhar - Saison 13
D'accord, on n'y voit pas grand chose... mais en plus d'une vingtaine
d'atterrissages à Istanbul, c'est la première fois que je peux photographier le
Bosphore :)
PS: Est-ce à cause du dernier crash égyptien, ou de l'annonce de l'élimination
du chef des talibans par les Américains...? Quoi qu'il en soit, les contrôles
de sécurité étaient particulièrement serrés aujourd'hui à l'aéroport de
Kaboul... Je commence à avoir une certaine habileté à me dépouiller de tous mes
biens dans les barquettes des zones de fouille ;)
Par Gauhar - Saison 13
En hommage à Rabelais, qui pratiquait déjà l'autodérision, cette dernière photo
du troupeau qui passe régulièrement sous ma fenêtre à la recherche de sa
misérable pitance, sans souci de la tondeuse du cardeur ou du ruban qui le
désigne au prochain sacrifice.
2016 mai 22
Par Gauhar - Saison 13
Ma chasse au visa hier et aujourd'ui fut l'occasion de retraverser la ville
dans tous les sens et à toutes les heures, comme ce matin où les étals des
commerçants n'étaient pas encore déployés : il me fallait être avant sept
heures au service étranger de la direction des passeports, pour que mon dossier
puisse être pris en compte dans leur réunion quotidienne d'approbation. Hier
j'avais été promenée entre différents services qui se renvoyaient la balle avec
la plus parfaite mauvaise foi (chacun pensant sans doute obtenir quelque
avantage illicite de l'agacement de leur interlocutrice déjà ulcérée de
l'accumulation de procédures aussi fumeuses que coûteuses). Mais avec un taux
de chômage de soixante pour cent, on ne peut que se réjouir qu'il faille quatre
personnes pour tamponner le reçu du paiement de l'amende pour dépassement de
visa, non ? Et dans ce vaste racket, on admirera l'équanimité d'une
population qui est la première à en souffrir, que ce soit le yuppie marchant au
bord de la route, la gamine en tenue de danseuse ou la ménagère aguichée par un
prince de pacotille.
Tout ce beau monde vit avec l'idée de redonner à la ville le lustre champêtre
qu'elle garde dans le souvenir des anciens et des voyageurs d'antan.
L'université est entourée d'un cordon de rosiers, comme pour séparer les
étudiants de la dure réalité du vaste chantier dans lequel ils devront faire
leurs preuves. Les arbres tentent péniblement de reverdir depuis quinze ans,
avec l'espoir que le changement climatique provoquera l'augmentation des
précipitations.
Bilan de ce vaste bordel ? Si tout va bien (bis), je serai dans l'avion
demain :)
2016 mai 20
Par Gauhar - Saison 13
Donc, ce matin au petit jour je termine mes préparatifs pour le voyage :
trois bagages dont j'imagine qu'ils me vaudront un excédent, et je laisse
derrière moi les meubles, tapis, coussins et appareils ménagers que je confie à
un ami pour les remettre à une famille nécessiteuse de sa connaissance.
Certaines pièces d'ameublement ont déjà fait l'objet de cadeaux à d'autres
amis : coiffeuse et son miroir à une jeune mariée, meuble bibliothèque à
un intello méritant, bureau et micro-onde à l'aîné courageux d'une grande
famille...
J'ai calculé large pour mon arrivée à l'aéroport, et je voyage souvent le
vendredi afin d'éviter les embouteillages urbains. J'ai donc le temps de faire
la photo des panneaux solaires qui permettent l'autonomie énergétique du
complexe aéroportuaire. Ils occupent la place qui avait été initialement
affectée à un grand parking, lequel a été relégué beaucoup plus loin par les
mesures de sécurité. Arrivée à l'enregistrement, je règle sans sourciller la
surtaxe de poids, puis me dirige vers la zone d'embarquement où j'espère
pouvoir piquer un roupillon en attendant l'heure.
Au contrôle de l'immigration, je signale ma bonne foi en pointant que mon visa
est expiré depuis cinq jours. Pour ceux qui suivent, j'avais eu bien du mal à
l'obtenir, et l'ambassade afghane à Paris ne m'avait finalement délivré
qu'un mois sur les deux que j'avais payés, arguant que le double coût était dû
au titre de la ...procédure d'urgence ! Mais il suffirait, selon
l'expérience de voyageurs précédents, de s'acquitter d'une taxe-amende
correspondant aux jours en dépassement, cinq dans mon cas.
Et là, la machine s'enraye. L'officier d'immigration me dit que je ne peux pas
embarquer. Malgré mes protestations, ma réservation est annulée et reprogrammée
deux jours plus tard - une cinquantaine de dollars quand même - et je me
retrouve dans un taxi - mon accompagnateur est parti depuis longtemps - avec
consigne de me présenter au ministère du Tourisme pour la prolongation si je
veux avoir l'insigne privilège d'embarquer la prochaine fois. Les amis auxquels
je téléphone sont atterrés, et concluent que le vendredi il ne doit pas y avoir
de fonctionnaire ad hoc à l'aéroport...
Pour compléter l'amertume de cette journée, une fois rentrée dans mon
appartement où j'espère passer les quarante-huit heures de délai puisque j'en
suis légitimement la locataire encore jusqu'au 20 juin, je découvre que ces
quelques heures ont suffi pour que les plus belles pièces d'ameublement en
aient été subtilisées par l'un des bénéficiaires de mes dons, non satisfait de
la répartition que j'avais programmée...
L'Afghanistan cherche-t-il à se faire haïr ? Ou est-ce seulement une
manifestation du désespoir ambiant, qu'une délicate opération de médiation
pourrait dépasser en redonnant à chacun l'assurance d'être estimé et l'occasion
de manifester son honneur ?
2016 mai 19
Par Gauhar - Saison 13
L'arbitre a sifflé la fin de partie. Je divague sur mes tapis entre trois piles
d'affaires, celles que je remporte, celles que je donne, et celles que je
confie à des amis dans la perspective d'un hypothétique retour. Dans
quarante-huit heures, si tout va bien, je serai en France. Je vais quitter ces
trois pièces avec vue imprenable sur la ville et les montagnes, où je viens de
passer cinq des plus belles années de ma vie.
Pas une seule fois depuis que j'ai atterri à Kaboul en mai 2005 je ne me suis
sentie individuellement menacée. J'ai connu des moments de peur glaçante. Quand
la tempête de poussière bringuebale l'hélicoptère au ras de la paroi de pierre.
Quand on se précipite sous le linteau de la porte en espérant que l'immeuble va
résister aux secousses de l'écorce terrestre. Quand une explosion toute proche
signale un déchaînement de violence intentionnelle et préméditée. A chaque fois
pourtant j'étais en compagnies de personnes, Afghans ou étrangers, qui
agissaient dans la solidarité et le respect de l'autre.
J'ai eu de la chance ? La chance, il y a quarante sept ans, d'avoir été
initiée à l'Afghanistan dans la conscience de la beauté du monde et
l'exaltation de sa diversité, dans l'intime de l'humanité. Même si
principalement fantasmés, Zohra, Shah Bibi et Djan Mohammad ont pris place dans
mon univers personnel. Ils m'ont conduite à cette perception fondamentale que
nous sommes construits d'échanges et de partages au quotidien, et que nous
existons réellement dans l'imagination et le projet, dans l'amitié et l'amour.
Car à quoi bon se targuer d'être humain s'il s'agit simplement d'accumuler des
"richesses" au détriment d'autres êtres vivants ? L'humain n'est-il pas
plutôt ce concentré de capteurs physiques et de matériaux émotionnels qui nous
fait reconnaître notre valeur individuelle dans la fusion avec l'infini ?
Oui, je pense que les Afghans sont culturellement plus proches de cette
perception que les habitants de nos sociétés matérialistes. Parce qu'ils
habitent un des lieux du monde où se rencontrent les empires, que leur histoire
porte la nécessité de survivre à leurs affrontements, ils ont développé cette
capacité au sublime, à la transcendance, qui fait réellement l'humain, et qui
insuffle chaque geste du quotidien. Oui, je crains que le monde piloté par la
politique du chaos n'aboutisse à la généralisation de la violence, à la guerre
mondiale, sauf à trouver d'urgence des voies de solidarité qui retourneraient
cette tendance. Les risques que je pourrais prendre en Afghanistan en
vaudraient la peine s'ils pouvaient nourrir un tel projet. Mais aujourd'hui le
risque n'en vaut plus la chandelle. Un incident qui pourrait arriver à une
personne de bonne volonté comme moi serait immédiatement récupéré à contresens
par des intérêts partisans qui chercheraient à mettre de l'huile sur le
feu.
Je rentre le coeur déchiré. Avec le souvenir d'amis morts dans la violence. En
laissant d'autres amis dans la peine ou le désespoir, comme ce garçon brillant,
diplômé et chaleureux qui dit maintenant que sa seule issue est de tenter les
réseaux de migration illégale vers l'Europe...! Je rentre en espérant
convaincre mes propres enfants que je le fais par amour pour eux, en espérant
convaincre de potentiels donateurs qu'une des pistes pour le retournement vers
la paix passe par la solidarité avec la population de l'Afghanistan ou d'autres
régions martyrisées dans le monde.
2016 mai 16
Par Gauhar - Saison 13
Le petit jour est comme un autre, radieux sur les collines, avec les vols de
pigeon qui piquettent le ciel de leurs circonvolutions... Mais ce qui me
réveille vraiment, c'est le calme inhabituel à ma fenêtre pourtant grand
ouverte sur la fraîcheur de la nuit. Et puis je me souviens... Hier soir, alors
que Shekeb me raccompagnait après le dîner partagé dans sa famille, nous avons
trouvé le début de ma rue - l'avenue de Sherpour - bloqué par un conteneur posé
en travers de la chaussée, au carrefour du Shahid. Il n'y était pas deux heures
auparavant quand Shekeb était venu me chercher. L'Ambassade avait alerté :
"Une importante manifestation est prévue demain lundi 16 mai dans la ville de
Kaboul. En raison de la multiplicité de ses points de départ et de l’ampleur du
dispositif de sécurité qui a été prévu, la circulation pourrait se révéler très
difficile voire impossible."
Au lieu de klaxons et bruits de moteur, ce sont donc claquements de sabots sur
le macadam et annonces de policiers au mégaphone qui troublent l'ambiance
sonore quasi champêtre de cette matinée.
Le premier vice-président peut rester au calme à faire sa propagande ;)
8h30 : Des clameurs de manifestation se font entendre, comme d'une foule
serrée haranguée par mégaphone. A la fenêtre, je ne remarque rien de
particulier dans les avenues alentour, et il me semble bien que ce fond sonore
est diffusé par le haut-parleur de la mosquée voisine...
10h45 : Un cortège clairsemé de manifestants passe effectivement le long
de l'avenue Shahid, soutenu par quelques slogans. La mosquée - silencieuse
depuis deux heures - se remet alors à émettre à plein volume les
enregistrements précédents, histoire de galvaniser les troupes. Les
hélicoptères de l'armée tournent au-dessus.
A la mi-journée sont publiés les commentaires de presse. Le coeur de la ville
dans sa totalité avait été interdit aux véhicules par la pose de
conteneurs sur les grandes artères menant au centre. Les manifestants ont
respecté ce périmètre de sécurité - qu'ils auraient pu franchir à pied - et se
sont rassemblés du côté sud de la ville, au carrefour de Deh-Mazang,
où ils auraient été des dizaines de milliers. Les leaders de la communauté
hazara ont joué la désescalade, en se faisant l'écho des mesures prises
officiellement pour revoir le projet TUTAP, suspendu pour six mois. La
manifestation s'est dispersée dans le calme.
A dix-sept heures, pourtant, Tolo News publie un article mentionnant
des heurts entre manifestants et journalistes, au moment où ceux-ci étaient
occupés à filmer des échauffourées avec la police. Plusieurs journalistes
auraient été tabassés...
2016 mai 15
Par Gauhar - Saison 13
Déjà il y a quelques jours j'évoquais le trépidant instinct de vengeance qui
possède les rues kaboulies. Ces derniers temps, cette humeur a été entretenue
par l'annonce que l'analyse des corps de deux des kamikazes de l'attaque contre
les services de sécurité il y a trois semaines a montré qu'il s'agissait
d'anciens captifs talibans, qui avaient été libérés par l'administration Karzaï
à l'occasion de précédentes négociations de paix... Comme des gouttes d'eau
versées sur de l'huile bouillante, le président Ghani n'a pas manqué ensuite de
refuser les demandes de grâce concernant certains insurgés actuellement
prisonniers, et a fait exécuter récemment une vingtaine d'entre eux. Les
talibans ont aussitôt proclamé une vengeance inextinguible... L'engrenage de la
violence fonctionne bien.
Pour chauffer un peu plus les rues, Ghani est aux prises avec un soupçon de
reniement de promesses de campagne concernant le tracé TUTAP, comprendre de la
nouvelle ligne de transport d'électricité depuis le Tadjikistan vers
l'Ouzbekistan, le Turkmenistan, l'Afghanistan et le Pakistan... Le soutien de
la communauté hazara au Président était fondé sur l'idée que cette ligne
traverserait la province de Bamyan, ce qui aurait généré de nombreux emplois au
moment de la construction, outre les retombées économiques de l'adduction
elle-même. C'est sur un argument financier que se fonde le gouvernement actuel
pour déclarer d'utilité nationale un tracé passant par le col du Salang. Les
soupapes pètent les unes après les autres. Il y a trois jours, le président
Ghani se faisait malmener en public à Londres par des manifestatns le traitant
de menteur. Et demain est prévue à Kaboul une manifestation monstre, qui
pourrait rassembler cinq cent mille personnes, dit-on, si tout le Hazarajat
descend à la capitale...
Aujourd'hui, à l'occasion d'un déplacement vers l'Ambassade pour faire le point
sur ma mission qui tire à sa fin, j'ai eu un aperçu de la tension ambiante. A
mon habitude, j'ai utilisé les services d'une compagnie de taxis qui me connaît
bien, Zohak. Ils sont cinq frères à avoir monté l'affaire, qui comptait plus
d'une quinzaine de chauffeurs salariés il y a cinq ans. Aujourd'hui, seuls les
frères sont encore occupés à prendre les courses de leurs fidèles
clients : les autres sont trop risqués. Le trajet dure dix minutes à peine
de chez moi jusqu'à l'ambassade, sur les grandes artères du centre. Au dernier
carrefour avant la zone verte, il y avait un barrage de police occupé à filtrer
les véhicules se dirigeant vers ce quartier exposé. Les fonctionnaires ont fait
ranger notre voiture sur le côté - ce qui ne m'était jamais arrivé - puis ont
demandé au chauffeur ses papiers. Et la discussion a commencé à s'envenimer, le
taxi montrant sa licence, prenant à témoin sa passagère... J'ai alors
simultanément compris deux choses : d'une part que les policiers en
faction exigeaient de garder les papiers du véhicule et du chauffeur en
attendant son retour après m'avoir déposée ; et d'autre part que ce qui
exaspérait mon chauffeur c'est que, manifestement, cette exigence se faisait "à
la tête du client", parce que lui comme ses frères sont... des Hazaras !
J'ai comme l'impression qu'il ne suffira pas de quelques pochoirs prônant la
réconciliation pour apaiser les esprits... ni non plus pour décourager
l'émigration clandestine des jeunes à l'esprit d'entreprise ! Et si la
coupe de cheveux était réellement un indice, on pourrait s'inquiéter du nombre
de chevelus hirsutes qui hantent maintenant les rues kaboulies : "ceux qui
veulent se donner un look de bad boy, comme les talibans !" m'affirme
un ami !
2016 mai 12
Par Gauhar - Saison 13
Jeudi soir, 21h23.
Toute la ville est subitement plongée dans le noir. Ca fait longtemps que ça
n'était pas arrivé... L'hiver dernier les talibans avaient coupé l'alimentation
principale en provenance du Tajikistan, et cela avait duré plusieurs semaines
avant que l'armée puisse réinvestir les lieux pour replanter des pylones.
Pendant cette période, chaque quartier subissait plusieurs heures de coupures
par jour. Depuis, le printemps avait été plutôt calme, seuls des délestages
occasionnels provoquaient des interruptions de quelques secondes avant que la
tension revienne.
Et puis, aujourd'hui, je me vois de nouveau contrainte de chercher les
allumettes à tâtons pour y voir un peu. Dehors, le ronronnement des générateurs
occupe graduellement la nuit noire, où l'on voit néanmoins briller les
illuminations des salles de mariages parées à toutes les éventualités. Mon ordi
tient sur sa batterie, ma connection 3G aussi dès que l'émetteur de coms du
quartier a bénéficié de son alimentation de secours. Les enfants de
l'appartement voisin continent à jouer joyeusement, l'obscurité semble les
amuser. Quelques immeubles bénéficient d'un éclairage blafard grâce à des
batteries chargées par des panneaux solaires.
A 20h38, le quartier se rallume. Les enfants d'à côté lancent des cris de
joie ! Le débit internet est beaucoup plus rapide juste après cet incident
:)
Par Gauhar - Saison 13
Sortie du lycée franco-afghan de garçons... tous pimpants dans leurs uniformes
:)
Certains rejoindront à pied leur domicile au flanc de la montagne de la
télévision.
2016 mai 11
Par Gauhar - Saison 13
Hier j'étais au Serena, cet hôtel de luxe qui offre les meilleures conditions
de sécurité aux businessmen de passage, nonobstant de multiples attaques des
insurgés durant ces dernières années. Il s'agissait cette fois de promouvoir
auprès des jeunes l'idée qu'ils seront beaucoup mieux à travailler sur place
plutôt que d'aller chercher à l'étranger des facilités ou une sécurité
illusoires. Hauts fonctionnaires et entrepreneurs à succès ont multiplié les
professions de foi, sous le haut patronnage du premier opérateur de
télécommunications du pays.
Les appels à se rassembler autour de l'âme afghane ou les manifestations de
l'esprit d'entreprise ont reçu une sorte de douche froide quand une jeune femme
- animatrice d'une pépinière d'entreprises - a dégainé sa question :
"Pourquoi peut-on obtenir une autorisation de création pour 15 dollars
n'importe où dans le monde occidental alors qu'il faut débourser 800 dollars
ici ?" La représentante du ministère des Rapatriés s'est retranchée dans une
pitoyable dénonciation du "gouvernement bicéphale qui nous a été imposé de
l'étranger", et l'on a noyé le poisson dans les remous des fontaines carrelées
de marbre et de lapis-lazuli.
Dehors, la circulation est soigneusement régulée par le seul feu tricolore
réellement opérationnel dans le pays, et le vendeur de cartes de téléphone
agite ses paquets de billets sous le nez des passants.
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